Bas les cagoules
Imaginez... moi, hier soir. Béate, dépourvue de toute force vitale, les cheveux répandus en rivière sur mon oreiller, je regardais le plafond en savourant encore les rires de ma soirée d'hier, avec délice. Au menu pour moi : le pilote du Brady Bunch, et la fin de la 1e saison de Three's company.
Les posts rendant hommage à chacune de ces séries viendront en leur temps, ne vous inquiétez pas.
Toujours est-il que dans cet état d'extase typiquement téléphagique, j'en suis venue à me dire "je peux découvrir des séries antérieures à ma naissance bien que les chaînes françaises s'en désintéressent totalement".
Et ça m'a frappée.
L'une de ces séries date de 1969, l'autre de 1977. Et c'est vrai que pour espérer une diffusion, à plus forte raison sur une chaîne à laquelle moi, qui suis sans revenu pharaonique, j'aie accès, je peux toujours compter dessus, jusqu'à preuve du contraire. Je ne demande qu'à, en plus. Mais la vérité c'est que les séries plus anciennes, à plus forte raison si à l'époque de leur apparition outre-Atlantique elles ne sont pas arrivées en France (là encore : à ma connaissance), un téléphage français désireux d'élargir sa culture télévisuelle et regarder ce qui pourrait être considéré comme des classiques (j'irai pas jusqu'à l'appelation "culte" si galvaudée, mais je crois que l'une de ces deux séries le mériterait) n'a, pour ainsi dire, aucune chance d'y avoir accès. Alors que reste-t-il ?
Alors, oui, ce soir, je fais fi de ma cagoule de vilaine fille, et je le crie à la face du monde : oui, merci au téléchargement illégal. Dans des cas comme celui-ci, oui, il faut impérativement avoir accès gratuit à des séries anciennes que les chaînes françaises nous refusent. Parce que la vérité, c'est que l'accès à la culture est un droit. Et qu'on n'a pas à être tributaires des grosses chaînes, qui font de grosses attributions, toujours récentes, et qui ne rediffusent que leurs valeurs sûres quand elles n'ont plus leurs chères nouveautés onéreuses à nous refiler par paquets de douze en un mois ou deux à peine.
Evidemment, avoir accès à de vieilles séries télé, ce n'est pas primordial dans la vie. Mais la culture ça commence par toutes ces petites choses. C'est pouvoir entendre Mike Brady qualifier sa famille "recomposée" de moderne, c'est voir l'acteur John Ritter participer à l'imagerie gay à la fin des années 70. Tout cela participe à la culture, d'une certaine façon.
Jusqu'à la fin de la semaine dernière, cette part de la culture m'était interdite. Il m'a fallu la prendre autrement.
Au-delà du cagoulage intensif qui a lieu aujourd'hui sur de grands titres dont nous savons déjà que des chaînes françaises ont acheté les droits de diffusion, ou même qui commencé la diffusion sous nos lattitudes, qui se justifie difficilement sous ce strict angle, le téléchargement de séries tout illégal qu'il soit est hélas nécessaire lorsqu'on est tout simplement curieux. Il fait aujourd'hui partie de la logique de contestation face aux techniques de diffusion contemporaines.
Nous savons tous que sans la promesse d'audiences florissantes, les chaînes ne prendraient pas la peine d'acheter autant de séries. Et que même lorsqu'elles achètent d'excellents titres, leur diffusion est erratique et relève de l'ignorance et de la bêtise les plus hallucinantes. Ce ne sont que les nouveaux produits à succès dans lesquels tout le monde investit, mais il n'y a derrière aucun respect du "produit culturel", pour le moins. De l'oeuvre de fiction, devrait-on pouvoir dire.
Télécharger, c'est illégal. Mais ce n'est pas toujours mal.
Je vois déjà débouler les objecteurs de tous poils prêts à me faire la leçon : pourquoi ne pas acheter les DVD de ces séries, quitte à les acheter en import ? Pourquoi ? Parce qu'ils n'existent pas toujours ! Et que, lorsqu'ils existent (ce qui est le cas des deux séries citées plus haut), on ne peut pas se les offrir pour autant. Non, tout le monde n'achète pas sur Internet, et non, tout le monde n'a pas nécessairement les moyens de s'offrir tout ce qui pique sa curiosité.
Vous autres, téléphages déjà atteints par la cagoulomanie, vous savez ce que c'est. J'enfonce probablement pour vous des portes ouvertes. Mais il y a aussi tous ceux qui pensent que nous devrions nous satisfaire de ce qu'on nous diffuse même si c'est mal diffusé, et restreint uniquement à une poignée de séries. Et à ceux-là, je dis : je renfile ma cagoule, et je continuerai. C'est illégal, mais si ça touchait votre passion, vous en feriez autant. Si vous avez une meilleure solution...?