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ladytelephagy
30 août 2013

Une première fois à tout

A force de voir ma timeline sur Twitter évoquer de vieilles séries (Mission: Impossible pour gehenne, The Mary Tyler Moore Show pour Jéjé...), j'ai eu envie, moi aussi, de me replonger dans des vieilleries. Ca faisait un bout de temps, pas vrai ?
Voyage aujourd'hui en 1950, avec un épisode de la série Beulah.

Tout comme pour Life with Elizabeth, dont nous avons parlé il y a quelques mois, peu d'épisodes nous sont parvenus de la série Beulah. Alors que 87 épisodes au total ont été produits, nous dit Wikipedia, seulement 7 d'entre eux ont survécu aux aléas du temps et d'une conservation peu scrupuleuse. Sur ces 7 rescapés, 4 sont sortis en DVD, qu'une fois de plus j'ai acheté sur un coup de tête en voyant leur prix dérisoire.

Née à la radio en 1945, mais basée sur un personnage apparu en 1939, la comédie Beulah va s'installer sur les écrans de CBS cinq années plus tard. L'histoire de Beulah est assez caractéristique de nombreuses séries de son époque, même si les exemples qu'on connaît le mieux ne sont pas nécessairement des comédies (je pense au soap Guiding Light ou la série policière Dragnet). C'est un peu toujours le même principe qui est au centre de la démarche : on a quelque chose qui marche bien sur un média, on le transporte dans un autre histoire de minimiser la prise de risques.
Ainsi donc, un soir de 1950, voilà Beulah qui débarque sur les écrans américains, diffusée en quotidienne et en noir et blanc. Sauf que la grande différence, c'est qu'il s'agit de la toute première série de network à avoir pour héroïne principale une femme de couleur.

Beulah

...En théorie. Car quand on regarde le premier épisode du DVD de Beulah (dont on ne saurait décider, vu les circonstances, qu'il s'agit du pilote), que voit-on ? Qu'être l'héroïne d'une série recouvre des réalités variables, et qu'il y a une grande différence entre "avoir une série à son nom" et "être souvent à l'antenne dans une série".

L'épisode commence quand la famille Henderson, qui emploie Beulah, se trouve devant un dilemme : les temps sont durs (et Madame vient de s'acheter un nouveau chapeau), il faut donc faire des économies. Monsieur Henderson (Harry de son prénom) décide que désormais, on se passera des services du jardinier : c'est toute la famille qui mettra chaque samedi la main à la pâte ou, plus vraisemblablement, à la terre. Son épouse et son fils acquiescent, moins par enthousiasme que parce que, et je paraphrase à peine, c'est Harry qui tient les cordons de la bourse et qu'ils ont besoin de lui être agréable pour que plus tard il subventionne leurs caprices.
Les Henderson se partagent donc les tâches avec entrain, qui l'arrachage de mauvaises herbes, qui l'arrosage, qui la pelouse ; dans tout ça, Beulah s'affaire en cuisine à préparer un succulent repas, et ne saurait intervenir que pour le strict minimum.
Mais voilà que les choses changent bien vite car, le samedi venu, Beulah est approchée séparément par le fils, la mère, et pour finir le patriarche de la famille Henderson : chacun a une obligation à laquelle naturellement il ne saurait faire défaut, et demandent à Beulah d'accomplir leur tâche à leur place. La pauvre femme se retrouve donc à devoir maintenir à elle seule l'état du jardin des Henderson, et très vite, il apparait que non seulement elle n'est pas au point (elle aura une mésaventure avec la tondeuse) mais en plus, elle a le dos tellement cassé, le samedi soir venu, qu'elle offre aux Henderson un bien piètre dîner. Désireux de sauver leurs dîners du samedi soir, ils tentent donc de trouver une solution et proposent à Beulah... de changer le menu. Ah, euh, pardon, vous pensiez qu'ils allaient vouloir sortir Beulah de la situation douloureuse dans laquelle ils l'ont plongée, et assumer le jardinage qu'ils prétendaient assumer eux-mêmes ? Vous êtes mignons. Je ne vous raconte pas la fin de l'épisode, mais franchement, difficile pour le spectateur d'aujourd'hui d'esquisser ne serait-ce qu'un sourire ou même un rictus devant Beulah.

Au final, notre héroïne n'aura qu'une scène de l'épisode qui lui sera vraiment consacrée : celle pendant laquelle, bien qu'armée de bonnes intentions et décidée à donner un coup de main sans compter ses efforts, elle va tout de même se rendre ridicule, voire même aggraver le problème. Mieux que rien ? Admettons.
D'autres scènes mineures la mettent en scène, mais soit elle est en présence des Henderson (c'est généralement évité autant que possible cependant), soit elle est en compagnie d'autres personnages de couleur, à savoir son amie (et employée des voisins) Oriole et Bill, l'homme à tout faire. Ces deux personnages sont à eux seuls problématiques. Ils se caractérisent uniquement par le fait qu'ils ont envie d'échapper au maximum aux corvées, soulignant certes que Beulah, elle, a le sens du devoir et des responsabilités, mais, parce qu'ils sont "hauts en couleurs" (pardon pour l'expression), ils volent la vedette à l'héroïne. Le fait qu'Oriole soit interprétée par Butterfly McQueen, qui incarnait Prissy dans Autant en emporte le vent, avec son inoubliable timbre suraigu qui a transpercé des générations de tympans, détourne totalement l'attention de Beulah, par exemple.

Mais avouons-le, les dialogues reviennent essentiellement aux Henderson. Ce sont eux qui occupent l'espace, comme les scènes dans leur salle à manger, où Beulah ne fait généralement que passer pour les servir, tandis qu'ils ont toutes sortes de discussions entre eux ; ils incluent le moins possible Beulah aux discussions, et moins encore aux décisions, même la concernant. Leur employée a beau avoir une série à son nom, ce sont eux qui s'expriment le plus dans l'épisode, et qui ont le pouvoir de décision.
On n'est pas ici dans le cas de figure d'une série dans laquelle l'employée est plus maligne que ses employeurs, et finit par trouver une solution à leurs problèmes. Beulah met en scène une bonne nature qui fait tout ce qu'on lui dit sans trop râler, quitte à pâtir des conséquences auxquelles les patrons n'avaient pas songé (ou auxquelles ils n'ont pas eu envie de songer, parce qu'après tout, quelle importance pour eux ?).
Beulah est présentée par CBS comme une série autour d'une femme noire, mettant en avant ses dons culinaires et la façon dont elle fait tourner la maison. Oui : mais pas parce qu'elle y prend la moindre décision, uniquement parce qu'elle est la seule à... y faire quelque chose. Se gargarisant de mots et de sourires polis, les Henderson font des choix qui sont irréalistes ou tout simplement peu réfléchis, c'est en cela, et en cela seulement, que Beulah leur est supérieure : quand elle sera confrontée aux conséquences, elle mettra à jour le fait que ses patrons n'ont pas nécessairement été très fins. Mais elle ne le leur fera pas remarquer, et ne saurait en prendre avantage. Enfermée dans une certaine humilité imposée par sa classe (et certainement ses origines, Beulah ayant l'âge d'être née juste après la Guerre de Sécession).
Et pour répondre à votre question, oui, j'extrapole en imaginant que c'est le cas de toute la série, mais je n'ai pas besoin de faire un gros effort d'imagination.

Inutile de dire que sans aller jusqu'à prétendre que Beulah a de forts relents d'esclavagisme, en tous cas, on est en plein dans une expression du racisme ordinaire de la moitié du 20e siècle.
Mais après tout, rien là de très surprenant. Les prémices de Beulah étaient racistes : quand la série radiophonique The Martin Hurt & Beulah Show démarre, c'est un acteur blanc, Martin hurt, qui prête sa voix au personnage ! Un magnifique cas de blackface sans face, quelque part. L'émission est un spin-off d'une autre série radiophonique, enregistrée en public dans laquelle Hurt avait pris l'habitude de commencer chaque épisode en tournant le dos aux spectateurs ; une partie de l'humour du personnage reposait sur le fait que les spectateurs découvraient APRES que Beulah se soit exprimée... qu'un homme blanc venait en fait de parler ! Ha ha ha, que c'est drôle. Dans les années 50 en tous cas, il faut croire que ça l'était. Ce n'est que plus tard, après la mort soudaine de Martin Hurt, que l'émission prendra le titre de The Beulah Show, et même là, c'est encore un acteur blanc qui prend le relai. Finalement, ce n'est que deux années après la création de la série radiophonique qu'une femme noire incarnera Beulah, et ce sera l'actrice Hattie McDaniels qui y parviendra (elle incarnera Beulah plus tard dans la série télévisée).
Au long de ses 87 épisodes, ce sont 3 "Beulah" différentes, 4 "Bill" et 2 "Oriole" qui vont se succéder... en l'espace de deux ans (les autres personnages changeront également de façon régulière). Les raisons ne seront pas toujours d'ordre raciales, mais on peut par exemple citer Percy Harris (premier "Bill" de la série) qui citera précisément ce motif pour quitter Beulah ; son successeur Dooley Wilson invoquera le même motif à la fin de la saison 1. La National Association for the Advancement of Colored People élèvera aussi la voix contre les représentations faites par la série d'un monde, à bien des égards, un peu trop noir et blanc.
A noter qu'au final, la version radio durera jusqu'en 1954, soit deux ans de plus que la série télévisée Beulah.

Il faut se remettre dans le contexte des années 40/50 : dans un pays où la ségrégation occupait encore une part non-négligeable de la vie quotidienne, les noirs et les blancs ne se mélangeaient pas. Pour imaginer une situation dans laquelle les deux communautés interagissaient, ne serait-ce que de façon minimale, il fallait en passer par la seule relation qu'on connaissait à l'époque : des patrons blancs, des employés de maison noirs.
Et surtout, toute façon d'incarner un personnage de couleur à l'époque devait impérativement se conformer à la vision des blancs. En prêtant d'abord sa voix à Beulah, Hattie McDaniels avait refusé d'incarner un personnage stupide comme ses deux prédécesseurs ; elle parvient même à faire ajouter une clause à son contrat lui permettant d'accepter les scénarios qui lui seront proposés, ou de les refuser. Elle ouvrira ainsi la voie à la version télévisée, dans laquelle Beulah n'est pas idiote : elle est juste totalement servile.

Croyez-le ou non, c'était un progrès, bien que petit. En étant "seulement" soumise à ses employeurs blancs, mais sincèrement dévouée à leur bien-être et profondément attachée à eux, Beulah rentre dans un des rares stéréotypes de l'époque qui soit réellement aimé par le public : la "Mammy" ronde et joviale (Hattie McDaniels en campe par exemple une similaire dans... Autant en emporte le vent). D'ailleurs, ce stéréotype était tellement inflexible et incontournable, pour s'attacher l'affection du public, qu'Ethel Waters (la première actrice à incarner Beulah à la télévision avant que McDaniels ne reprenne le rôle) fut obligée de prendre du poids pour rentrer dans le moule, car elle était initialement plutôt mince ; à la suite de quoi elle souffrira de problèmes de santé liés à son obésité pendant le restant de sa vie.
Malgré tout cela, mieux valait que ce personnage soit campé par une femme noire que par un homme blanc, à une époque où, vous l'aurez compris, le blackface ne choquait pas le public blanc, les producteurs blancs, les exécutifs blancs, les annonceurs blancs. Dans une interview, McDaniels ironisera sur la situation, alors qu'on lui demande si elle est vexée par le rôle qu'elle tient : "Why should I complain about making seven hundred dollars a week playing a maid ? If I didn't, I'd be making seven dollars a week actually being one". Il n'y avait pas des centaines d'options : dans les années 40, quand les premières protestations se sont faites entendre sur les représentations des populations de couleur à la télévision, la première réaction des studios fut... de supprimer ces rôles.

Cela n'excuse évidemment pas l'ambiance fortement raciste de Beulah ; mais ça l'explique. Et ça permet aussi de se remettre dans le contexte d'une époque où être un acteur de couleur à la télévision (ou plus spécifiquement, être un acteur noir, on ne parlait pas encore beaucoup d'acteurs hispaniques par exemple) recouvrait une réalité complexe qu'on a eu vite fait d'oublier. Il ne s'agit pas de dire que, comparativement, les acteurs de différentes minorités sont aujourd'hui bien lôtis et devraient arrêter de se plaindre, pas du tout ; en revanche, ils reviennent de très loin.

Je n'ai pas forcément trouvé Beulah très drôle. C'est embêtant : c'est un sitcom. Et c'est embêtant parce qu'à la base, je regarde une vieille série pour le plaisir de regarder une vieille série, pas pour une leçon d'histoire. Mais voir cet épisode m'a permis de réfléchir et de lire sur toutes sortes de choses, et c'est bien plus que ce que bien d'autres séries parmi ses contemporaines m'ont permis de faire. A défaut de plaisir téléphagique, j'aurais donc tiré quelque chose du visionnage de cet épisode.

Beulah sera la dernière série à la télévision américaine à avoir pour "personnage principal" une femme noire, jusqu'à l'arrivée de la série Julia... en 1968. Mais un autre progrès aura encore été accompli à ce moment-là : l'héroïne éponyme de la série sera une veuve qui élève seule son fils, tout en travaillant dans un hôpital.

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29 août 2013

Carnassier

Tout le monde parle un peu de la même chose aujourd'hui ; j'aimerais vous faire penser que je suis au-dessus de la mêlée, que je vais vous parler d'une série togolaise ou péruvienne. En plus je n'ai jamais testé ni l'une ni l'autre, donc effectivement ça semble alléchant à en parler comme ça. Mais non. Comme absolument tout les journalistes média aujourd'hui, je vais vous parler de House of Cards.
Et comme beaucoup de ces personnes, et une grande partie des spectateurs de Canal+ ce soir, je n'ai pas non plus vu le House of Cards britannique. Comme ça c'est assorti.

HouseofCards-US

Vous souvient-il des années 2000 ? Une époque où c'était A la Maison Blanche qui dominait les quelques séries politiques américaines. Sorkin tentait d'y décrire comment une équipe d'idéalistes, menée par un Président éduqué et droit comme un "i", se confrontait aux réalités de la vie politique à Washington... tout en triomphant, le plus souvent, de l'adversité. Qui croirait que l'une des séries les plus optimistes du genre politique date des années Bush, hein ? On l'avait pas vue venir celle-là.

Aujourd'hui les choses sont différentes. Comme l'a par exemple montré Boss, ce que nous cherchons aujourd'hui dans nos séries, c'est la preuve que nos élus sont corrompus et cyniques. Ere de l'anti-héros oblige, nous voulons à la fois nous identifier à lui et à ses imperfections ; mais en même temps, nous voulons aussi nous conforter dans l'idée que "tous pourris". Ils sont hypocrites, menteurs, désabusés ; ce sont des arrivistes qui ne pensent qu'à leur statut, leur pouvoir personnel et leur progression dans la pyramide alimentaire. Ils ne sont qu'ego. Comme beaucoup de séries dramatiques de toutes sortes actuellement, les fictions politiques du moment nous confortent dans notre vision noire du monde et de ses dynamiques ; à vrai dire, même les comédies peignent ce portrait, comme Veep (ou ce qu'on a pu voir d'Alpha House, commandée par Amazon).
Le temps des idéalistes est révolu ; il a disparu quand le Président providentiel s'est avéré être un Président comme les autres, imparfaits. Notre seule façon de gérer la déception est de tous les mépriser.

House of Cards s'inscrit parfaitement dans cette optique, et c'est tangible dés le pilote. En montrant un Président qui ne prendra pas la parole devant les spectateurs, dans des scènes qui sont réservées à leurs seuls yeux, mais uniquement dans un discours vidé de toute substance, l'épisode dépossède l'homme qui est au sommet de l'Etat du moindre pouvoir. Ce qu'il veut importe peu, puisque c'est quelqu'un d'autre qui s'exprime à sa place, en l'occurrence la Cheffe de cabinet Vasquez.
Et de toute façon, ce ne sont pas les gens au pouvoir les héros de House of Cards, mais Frank Underwood, un élu de la Chambre des Représentants qui fait figure, dans le contexte particulier de la politique au niveau fédéral, d'un outsider. Car en dépit de son ambition dévorante et de son intelligence aigue, de sa connaissance parfaite du fonctionnement officiel comme officieux des institutions, Frank ne va pas être promu Secrétaire d'Etat comme il l'espérait. D'ailleurs il ne l'espérait pas : c'était pour lui acquis, et la nouvelle, dans ce premier épisode, que le poste lui a échappé (pour atterrir entre les mains de Kevin Kilner - c'est l'instant fangirl pour la spectatrice d'Invasion Planète Terre) va avoir pour conséquence d'enclencher les rouages de sa vengeance. Un processus qui sera long, nous en sommes conscients dés ce premier épisode, parce qu'il implique de détruire un par un ceux qui l'ont floué.

Le paradoxe de House of Cards est là : dans le fait que des intriguants de toutes sortes sont sur le point, à n'en pas douter, d'être exposés (face aux spectateurs au moins) pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire des gens corrompus de diverses façons par le pouvoir... par un homme qui lui-même est tout aussi corrompu qu'eux. Nous le célébrons parce qu'au moins, il va leur donner ce qu'ils méritent. Si pour cela il faut qu'il accède à d'encore plus hautes responsabilités, eh bien, c'est un dommage collatéral qu'en tant que spectateurs, nous acceptons d'assumer.
D'ailleurs, quand il aura le pouvoir, Frank Underwood, qu'en fera-t-il ? Quelle importance, répond le pilote de House of Cards : l'essentiel est qu'il obtienne sa vengeance par tous les moyens possibles. C'est à ça que tient la politique aujourd'hui.

Ecoutez, c'est pas moi qui vais contredire : des pourris en politique, ce n'est pas ça qui manque. Même pas forcément besoin d'aller au plus haut pour en trouver, il en grouille plein dans les couloirs des cabinets. Mais là où parfois A la Maison Blanche péchait par excès de candeur sur le monde politique, des séries comme House of Cards donnent dans l'excès inverse. Il manque encore un peu de nuance à la plupart des séries du genre, plus encore actuellement. Elles montrent soit les "gentils" qui font ce qu'ils peuvent contre vents et marées, pour essayer au moins un peu de faire progresser les choses ; soit des méchants qui font ce qu'ils peuvent pour avoir le champ libre pour atteindre le sommet (ou au mieux, des idiots pas forcément impressionnants qui continueront de faire ce qu'ils peuvent pour rester à peu près dans le jeu, quand bien même ils n'en ont pas la carrure). La politique est plus complexe et nuancée que cela, et on s'attendrait à ce que l'art de la nuance, la télévision, prenne le temps d'en tester les nuances de bleu-blanc-rouge ; ce n'est pas avec House of Cards qu'on verra cette expérience se produire sous nos yeux.

Frank Underwood est, c'est entendu, un carnivore de la pire espèce, qui n'est finalement là que pour le jeu politique et sa place sur l'échéquier. Le problème c'est qu'à ses côtés, beaucoup de personnages de ce premier épisode manquent d'épaisseur.

On l'a dit et répété dans 102% des articles publiés aujourd'hui sur le sujet : oui, c'est Netflix qui a originellement "diffusé" la série, et il était plus qu'encouragé de regarder les épisodes à la suite, en enfilade. De ce fait, les personnages n'ont pas l'obligation de se présenter à nous de façon claire et ordonnée, de s'exposer d'entrée de jeu pour que nous sachions d'emblée qui est qui. Cela peut très bien se produire plus tard, ou même pas du tout, dans le fond ; pour ma part, j'écris toujours mes reviews de pilote sans avoir vu la suite, donc à ce stade, vous n'en saurez rien...!
Le strict minimum est opéré dans ce premier épisode, mais je ne suis pas totalement convaincue que ce soit entièrement dû à la diffusion sur la plateforme. Claire Underwood, Zoe Barnes et les autres restent assez unidimensionnels face à un Frank Underwood habile et malsain dont la duplicité s'affiche rapidement, et cela peut aussi être dû, tout simplement, au parti-pris de la série.
Le binge watching fortement suggéré par la politique de "diffusion" de Netflix semble, au passage, plus difficile à faire dans le cas d'une série comme House of Cards que pour Orange is the new black, au ton largement plus versatile, et qui ne donne pas l'impression d'assomer le spectateur avec la brutalité sombre de son univers comme c'est le cas pour la série de Fincher. Personnellement j'ai essayé mais pas trouvé la force d'enfiler les épisodes à la suite. Se résoudre à ne pas tout regarder d'un coup, quelle qu'en soit la raison (choix, manque de temps, etc.), c'est accepter d'avoir, à la fin de chaque épisode, une vision un peu plus morcellaire que prévu, peut-être ; ce qui inclut de trouver les personnages secondaires simplistes dans ce premier épisode. Cependant, on n'aura pas attendu Netflix pour que soient écrites d'un seul tenant des séries ou des mini-séries, et cela ne nous a pas pour autant poussés à nous infliger un univers étouffant pendant 13h d'affilées si on ne le sentait pas. Juste parce que l'on peut, ne signifie pas que l'on doit (ni que l'on a).

Pour en revenir aux personnages secondaires, contrairement à Boss (encore), House of Cards ne semble pas très décidée sur la façon dont elle veut employer les personnages de son axe journalistique. Dans Boss, c'était le reporter Sam Miller qui faisait figure d'idéaliste, poursuivant la "vérité" avec autant d'acharnement qu'il soupçonnait assez vite que des vies étaient en jeu ; ici, on ne sait pas trop si c'est du lard où du cochon. Certes, Zoe Barnes est elle aussi une ambitieuse, assombrissant encore plus le portrait fait du microcosme de Washington, mais c'est aussi une débutante profondément anxieuse et à la précipitation de mauvaise augure. On comprend mal le rôle qu'elle joue dans le discours de la série, en particulier au sujet des médias et de la collusion avec le pouvoir.
Mais ma plus grande déception concerne Claire Underwood ; si en apparence elle rappelle énormément Meredith Kane, de Boss, y compris dans son incarnation à la fois élégante et terrifiante de sang-froid par Robin Wright, elle semble dans ce premier épisode manquer de répondant. J'ai apprécié en revanche la déclaration d'amour incroyable que Frank nous a faite suite à leur altercation.

Et de ces déclarations, parlons-en. Je m'étonne que tout le monde semble unanimement chanter les louanges de House of Cards, quand sa façon de faire tomber le quatrième mur est la même que House of Lies, dont le procédé avait pourtant été largement décrié. J'ai même trouvé le procédé assez grossier dans sa première manifestation ("comment pourrais-je commencer ma série par un monologue puissant sans avoir l'air grandiloquent ? ...Ah, je sais ! On va casser le quatrième mur !"), quand bien même son utilisation, à force, finit par devenir relativement naturelle. Mais peut-être que, d'une série livrée en un seul bloc, on a aussi tendance à attendre la perfection dés le premier épisode, et ce n'est pas très juste.

House of Cards n'est peut-être pas LA plus grande série de tous les temps ; elle pâtit de certaines comparaisons (notamment avec Boss, à laquelle elle doit beaucoup mais qui, de pilote à pilote au moins, lui dame sévèrement le pion) et peut-être aussi de l'aura naissante des séries Netflix. Mais dans un panorama où les limites de nos exigences sont sans cesse repoussées par l'arrivée de nouveaux acteurs, de la chaîne câblée AMC aux pure players comme Netflix, clairement, on est devenus difficiles et pointilleux ! House of Cards se situe, c'est sûr, dans le haut du panier des séries américaines du moment (il faut dire qu'elle fait tout pour), et même si elle souffre de petits défauts, il faut garder à l'esprit que des séries de cette trempe, il n'en sort tout de même pas tous les jours : en téléphagie, il faut rester ouvert.

Challenge20122013

27 août 2013

Bon bah, à toi, quand tu veux...

Vous êtes sûrement familiers des problèmes que rencontrent les soaps étasuniens depuis quelques années : annulations successives, résurrection sur le web compliquée, reprise de deux d'entre eux par OWN...
Le feuilleton des feuilletons est presque plus intéressant que les feuilletons !

Eh bien, les choses ne vont pas toujours mieux ailleurs. Cette semaine, en Afrique du Sud, c'est le soapie 7de Laan qui fait parler de lui.
Petite remise en contexte : 7de Laan a fêté début mai dernier ses 3000 épisodes, et entamé en parallèle sa 14e saison sur la chaîne publique SABC2. C'est une success story du soap sud-africain, tournée en afrikaans, avec certains dialogues en anglais et en zoulou, et diffusée avec des sous-titres anglais, de sorte qu'une grande partie du public sud-africain s'y retrouve : en moyenne, plus de 2 millions de spectateurs sud-africains, qui pour être honnête sont essentiellement des spectatrices, suivent la série quotidiennement. Et pourtant, son tournage pourrait bien s'arrêter ce vendredi. Et je ne vous parle pas d'un bête hiatus, mais bien d'une interruption qui pourrait être définitive.

Alors, quel est le problème, me demandez-vous, l'angoisse au ventre. Les audiences s'effondrent-elles ? Les coûts de production s'envolent-ils ? Une intrigue s'est-elle montrée polémique ? Ou, plus trivial mais au moins aussi gênant : son studio a-t-il pris feu ? Qu'est-ce qui peut bien justifier la potentielle annulation d'une des séries quotidiennes les plus regardées du pays, lady, ne nous laisse pas dans l'ignorance !?

7deLaan_3000th

Une erreur administrative.
Oui, vous avez bien lu, voilà ce qui met en danger le tournage de la série et avec lui les grilles de la chaîne qui la diffuse : une erreur administrative. Quand vous aurez fini de rire, je vous explique. C'est pas grave, allez-y, je peux attendre.

L'histoire du jour est donc le gag du jour : la chaîne SABC2 n'a pas procédé au renouvellement des contrats avec la production. Les exécutifs de la chaîne ont oralement promis de le faire, preuve que ce n'est même pas une façon détournée d'arrêter la série de leur part, mais voilà, les choses traînent, les papiers se perdent, le chien a mangé les enveloppes, bref, toujours pas de contrat en vue. Et ça commence à agacer le producteur et créateur Danie Odendaal (ancien scénariste puis head writer d'Egoli), qui, bien qu'habitué à des "renouvellements" de dernière minute de la part de la chaîne, a décidé de ne pas payer de sa poche la production d'épisodes qui ne sont même pas encore officiellement commandés par SABC2.
Il va donc fermer boutique vendredi si SABC2 n'a pas trouvé d'ici vendredi une imprimante, une presse, ou un moine copiste.

Du côté de la chaîne, d'ailleurs, les déclarations sont sibyllines, du genre : "il n'y a pas de problème d'ordre contractuel". Non, probablement pas, mais visiblement vous avez du mal à trouver un gars avec un vélo pour apporter une enveloppe sur Concourse Crescent, à moins d'une vingtaine de minutes du siège de SABC. Il faut avouer que l'agacement d'Odendaal se comprend.

A plusieurs reprises déjà par le passé, SABC2 a fortement traîné des pieds pour signer les contrats de 7de Laan en temps et en heure ; les fois précédentes, Odendaal avait simplement continué de tourner la série en attendant que les documents arrivent. On est des gens civilisés, ça va, on fait affaire depuis un bout de temps, c'est que de la paperasse ! C'est à un tel point un problème habituel, que cette année, la production avait donné une semaine de congés à toute l'équipe du soapie. Une semaine de repos qui tombait pendant la période lors de laquelle les contrats devaient être renouvelés, considérant que de toute façon, ils arriveraient en retard. Sauf que cette semaine de vacances, c'était la semaine dernière ; cette semaine est donc écoulée et les contrats n'ont toujours pas été transmis.

Dans tout ça, les réactions sont assez partagées parmi le cast de la série : certains acteurs rient de cette péripétie, quand d'autres, plus nerveux, craignent sincèrement l'annulation, et se demandent comment ils pourront continuer à se donner à leur art après vendredi.

Si je traite tout cela un peu à la légère, c'est que beaucoup d'observateurs sud-africains s'accordent à dire que ce n'est que l'une des énièmes preuves des dysfonctionnements de l'audiovisuel public sud-africain, souvent un peu léger sur ses obligations administratives. Les exécutifs des chaînes SABC rencontrent apparemment de très fréquents changements dans les instructions reçues, qui empêchent le business de se faire dans la sérénité.
Et puis après tout, tant que les décors ne sont pas détruits, rien n'empêche a priori de reprendre le tournage dans une semaine ou deux le temps que SABC appuie sur CTRL+P : il n'y a donc pas encore de quoi remettre le prix de la Meilleure Annulation Crétine de l'Année.

Pas de panique à proprement parler, donc, mais une petite tempête dans un verre d'eau qui nous rappelle que des absurdités, il s'en passe sur toutes les chaînes de la planète.
Qui a dit que l'actualité des séries internationales devait toujours être morose ?

26 août 2013

Offset

Délaissant les murs de la prison fédérale de Litchfield, je vous embarque ce soir dans un voyage en Irlande, histoire de se dégourdir un peu les jambes téléphagiquement. J'ai en effet réalisé hier, à la faveur d'un concours de circonstances (on m'a demandé hier de recommander des séries entre autres irlandaises), que j'ai plein de pilotes de séries irish que je n'ai soit pas regardé, soit pas reviewés dans ces colonnes.

J'ai tiré au sort, et résultat, c'est Scúp qui est sorti. Parfois, c'est aussi simple que ça. Et puis on est lundi, hein : on ne va pas faire dans la complication aujourd'hui, surtout après le gros dossier de vendredi. En route !

Scup-logo

Scúp, qui comme vous l'aurez compris, signifie "scoop" (voilà, vous parlez irlandais, félicitations), est une petite dramédie en irlandais, diffusée plus tôt cette année à la fois par BBC Northern Ireland et la chaîne locale TG4. On la doit à Colin Bateman, également créateur de Murphy's Law avec James Nesbitt, et elle a été conçue pour durer 8 épisodes.

Les présentations étant faites, voilà de quoi nous parle Scúp : tout commence à la rédaction d'un journal de Belfast alors que son rédacteur en chef, que je serais bien incapable de vous dépeindre et vous allez vite voir pourquoi, meurt sur son fauteuil en s'étouffant avec une barre au chocolat, au moment-même où l'une de ses journalistes fait irruption dans son bureau pour exiger d'être payée.
Inutile de dire que l'ambiance n'est pas à la fête... pour de multiples raisons ! Les obsèques se tiennent à l'Irlandaise, c'est-à-dire dans un pub (ceux qui ont vu Love/Hate savent de quoi je parle), où la petite équipe de la rédaction se mêle aux quelques proches du leur ancien rédac'chef. Diarmuid, le propriétaire du journal, tombe alors par inadvertance sur Rob Cullan, un ancien collaborateur du défunt venu rendre ses derniers hommages une mousse à la main. Rob se présente comme travaillant au Guardian, et attention, pas n'importe quel Guardian : celui de Londres, excusez du peu ! Il n'en faut pas plus pour convaincre Diarmuid d'essayer d'embaucher Rob, ne serait-ce que pour une journée, afin d'évaluer ce qu'il peut faire du journal. Celui-ci est en effet un énorme trou dans ses finances, ce qui n'était pas tellement un problème quand les autres activités de Diarmuid se portaient bien, mais ce qui est devenu une véritable galère à présent. Ce qui explique qu'il ne paie même plus ses journalistes ! Rob finit par accepter un chèque gros et gras pour UNE journée au sein du journal, et essayer de voir ce qui peut être sauvé.

Ce journal, c'est le "An Nuacht", entièrement rédigé en irlandais, et où l'équipe est pour le moins resserrée : il y a Cormac, le plus vieux rédacteur du papier qui n'a plus rien à prouver ; Janine, qui gère les annonceurs ; Alix, la jeune passionnée qui fonce toujours tête baissée, et Michael, un jeune stagiaire qui fait ses premières armes à la rédaction avant d'entamer ses études de journalisme.
Craignant au départ de perdre leur job pourtant assez peu rémunérateur, l'équipe va pourtant vite se rendre à l'évidence : Rob n'a aucune intention de virer qui que ce soit.

Car Scúp raconte non seulement les histoires de ses personnages, mais aussi les évènements qui font la une du journal. Et en effet, au début de l'épisode (oui, bon, je vous ai menti sur la façon dont commence en fait le pilote, n'en faisons pas toute une affaire), un braquage a lieu chez un petit marchand de journaux. En soi, rien d'impressionnant : il s'agit d'un petit casse minable dont les deux coupables ne tirent qu'un peu de monnaie, que de surcroît ils font tomber sur le trottoir au moment de s'enfuir. Mais dans la panique, l'un des deux braqueurs a retiré son masque suffisamment longtemps pour être pris en photo par Sean, un jeune ado qui passait par là.
Voilà donc Sean qui vient frapper à la porte du An Nuacht pour vendre sa photo à un bon prix ; pas de chance, il ignore que les comptes sont dans le rouge et qu'il n'obtiendra pas un sou. A la place de ça, il tombe sur Rob, qui tente de le convaincre de lui laisser sa photo... pour rien ! Au nom de son devoir de citoyen envers les habitants de la ville. Et c'est alors qu'à la surprise tant du spectateur que d'Alix qui assiste à la scène, on découvre que Rob est en fait un grand idéaliste !

...Ce qu'on découvre ensuite sur Rob va également surprendre, et surtout, l'inciter à ne pas retourner à Londres trop vite. Je vous donne juste trois mots en guise d'indices : Guardian, écoutes, et téléphoniques. Notre Rob va donc décider de rester à Belfast et aider Diarmuid à remettre sur pied l'un des rares journaux en irlandais de la ville, même si on ne peut pas dire que ce soit particulièrement lucratif. Mais il a la passion, et une équipe certes pas forcément très épatante, mais fidèle à son journal. On ne doute pas vraiment que les choses vont à la fois mal et bien se passer.

Si je me suis permis de vous raconter 90% du pilote, c'est que, soyons honnêtes, il y a assez peu de chances pour que vous fassiez l'effort de regarder Scúp, et voici pourquoi : la dramédie est l'inverse d'une découverte palpitante. Oh, je ne dis pas : on s'attache un peu aux personnages, gentillement disons ; et puis l'épisode se laisse suivre. Certes.
Simplement il y a deux handicaps majeurs.
D'abord, ses personnages sont introduits très sommairement ; la révélation très tardive sur Rob Cullan tombe comme un cheveu sur la soupe parce que, sincèrement, aucun personnage n'est fouillé pendant 20 de minutes (sur un épisode qui en dure 25). Il ne nous est pas vraiment utile, arrivés vers la fin de l'épisode, de connaître le background du journaliste pour comprendre qu'il va rester (son discours passionné à Sean a largement suffit pour l'impliquer dans la vie de Belfast et de sa gazette).
Ensuite, parce que si je n'avais pas su que Scúp datait de 2013, j'aurais juré qu'elle datait d'il y a au moins 10 ans. Le rythme est assez mou, le montage et les dialogues n'ont pas plus d'énergie, et très franchement, c'est aussi gris qu'un épisode de Derrick un après-midi pluvieux.

Pour autant qu'on s'intéresse aux questionnements des journalistes du An Nuacht dans le pilote, qu'il s'agisse de leur angoisse quant au sort du journal, ou du dilemme posé par la photo que leur propose Sean (...le coupable pris en photo est en effet le fils de l'un des hommes les plus puissants et les moins aimables de Belfast), il est assez difficile de tenir les yeux ouverts et de vraiment s'investir dans ce visionnage.
Pourtant, vous l'avez sûrement remarqué, Scúp s'intéresse finalement à plein de sujets qui vaudraient le coup d'oeil en temps normal, en tous cas de la part du téléphage curieux : outre l'évocation du scandale du Guardian, qui est une plutôt bonne démonstration de l'habileté d'une série à s'inscrire dans l'actualité sans pour autant en tirer toute son intrigue, l'épisode pose des questions intéressantes sur la survie d'un journal dans une langue régionale (les personnages insistent de façon répétée sur le fait que le journal est l'un des rares en irlandais), la survie de n'importe quel journal dans un contexte de crise, ou encore, sur l'indépendance d'un journal vis-à-vis des puissants, même à un échelon local. Mais dans la façon de faire, ce premier épisode n'est pas très électrisant dans le ton qu'il emploie pour aborder tout cela.
D'ailleurs, l'une des fautes de goût de Scúp est de vouloir prendre pour héros Rob Cullan, alors que celui-ci est interprété de façon à être parfaitement anodin. Rob est un homme sans trait particulier, si ce n'est que de temps à autres, il s'anime par passion pour son métier ; si on le sentait passionné à longueur d'épisode, les choses seraient peut-être différentes, mais ce n'est pas le cas. Et ce héros tellement ordinaire, presque anonyme par sa façon de traverser la plupart des scènes quasiment sans qu'on l'y remarque, n'incite pas à se lancer dans une série, quand bien même elle devait ne durer que 8 épisodes.

Reste que ceux qui, parmi vous, tenteront Scúp, n'auront pas totalement perdu leur temps : il est assez rare de tomber sur une série irlandaise en irlandais, et assez rare, de surcroît, de tomber sur une dramédie sur le journalisme ne tombant pas dans des excès à la Dirt.
Mais il manque clairement une étincelle de vie à ce premier épisode, et c'est finalement le pire des torts.

Note : une dernière anecdote pour la route. Scúp a été écrite par Colin Bateman en anglais, puis traduite en irlandais pour TG4, chaîne publique dont les programmes sont toujours dans cette langue. Le texte original anglais de Bateman a été utilisé pour les sous-titres. Ce qui signifie, si on y pense, que les spectateurs ont entendu les textes adaptés, quand les lecteurs des sous-titres ont eu la version originale ! Quelle drôle d'idée, quand même, plutôt que de prendre un scénariste capable d'écrire directement en irlandais...

24 août 2013

Il n'est jamais mitard pour bien faire

Retour au challenge de la saison 2012-2013, alors que la suivante va bientôt prendre le relai ! Il est en effet hors de question de ne pas regarder tous les pilotes de l'année écoulée, conformément au challenge relevé par whisperintherain et moi-même. Et c'est un pilote qu'on m'a TRES chaudement recommandé que j'aborde ce soir ! Vous l'aurez compris, dans la continuité du post d'hier sur les séries carcérales féminines, voici ma review du premier épisode d'Orange is the new black.

Orangeisthenewblack-cast

Autant le dire tout de suite : le buzz, pour ce que j'en vois dans ce pilote, est justifié. Bien qu'employant de nombreux ressorts de la boîte à outil women in prison, faisant par moments regretter qu'on passe toujours par certains poncifs, Orange is the new black parvient à se montrer intéressant et même plutôt original, toutes proportions gardées.

Parlons d'abord des choses qui fâchent : le personnage central. Cela m'a agacé qu'il soit en quelque sorte "repentant". Ecoute, jeune fille, à partir du moment où tu as volontairement transporté une valise remplie à ras bord de l'argent de la drogue pour ta petite amie lesbienne, non, je suis désolée, tu n'as pas le droit de te poser en victime. Admettre devant l'officier chargé de son dossier "je l'ai fait... une seule fois... ya dix ans" n'est pas vraiment endosser la responsabilité de la chose. Je comprends qu'il y a différents problèmes derrière cette posture : il faut permettre au spectateur de rentrer en prison avec un personnage auquel il s'identifie le plus possible (et quelqu'un de naïf et innocent, au moins moralement si ce n'est légalement, est la meilleure option que puisse proposer une série carcérale), il faut lui donner des circonstances atténuantes. Les anti-héros, dans une série carcérale, n'ont jamais le rôle introductif dans un ensemble show : ça crée beaucoup trop d'inconfort. Mais puisque, pour une fois, l'héroïne a vraiment fait quelque chose de mal : ce n'est pas de la légitime défense, par exemple.  J'aurais aimé qu'on aille jusqu'au bout de la logique.
Au lieu de ça la voilà d'une part à se constituer prisonnière et admettre partiellement qu'elle a fait quelque chose de mal, et d'autre part à se mettre en posture de victime, dont le spectateur finira par se dire qu'elle n'est pas à sa place. On ne va pas en plus trouver dommage qu'elle ait échappé à la Justice pendant 10 ans, au lieu de 12 ce qui l'aurait mis à l'abri du fait de la prescription ! C'est finalement encore plus perturbant que dans le cas de la légitime défense parce qu'ici le crime a vraiment été commis sans autre motif que "je suis jeune et amoureuse". Pas franchement une légitimation à laquelle je peux adhérer spontanément.

Voilà donc Chapman qu'il nous faut en quelque sorte prendre en pitié malgré les circonstances, juste parce qu'elle est blonde et angoissée par ce qui lui arrive. Juste une fois j'aimerais bien qu'on montre qu'il n'y a pas que les filles bien qui ont du mal avec la perspective d'aller en prison. La prison, ce n'est un plaisir pour personne.

Mais admettons. Car grâce à elle, nous allons avoir la possibilité de rencontrer des personnages épatants ! J'avais lu cette interview de Jenji Kohan (oui parfois je fais les choses à l'envers, je lis les interviews avant de regarder les pilotes !) expliquant que sans héroïne blanche, impossible d'aborder tous ces personnages plus "marginaux" dans une série d'ordinaire. Je le crois volontiers, et je crois également que ces personnages sont bien mieux écrits que le "cheval de Troie" de Kohan. Ils apportent une réelle bouffée d'air frais à la série, ils en sont la richesse essentielle. D'abord parce qu'aucun de ces personnages de détenues n'est là où on pense qu'il va être, apportant de la surprise tout au long de l'épisode en plus d'une légère touche d'humour pince sans rire. Et surtout, parce que très vite se dessine une galerie de portraits qu'on devine immédiatement comme pleine de surprises.
Par exemple, ce qui est accompli en à peine une minute sur le personnage de Diaz, gifflée par sa mère est absolument génial ; ce qui se suggère en quelques secondes par cette claque, puis par les deux répliques de la jeune femme dans la chambre, est absolument énorme. On devine énormément de choses, et on veut en même temps en savoir plus. Autant l'interprétation que l'écriture laissent entrevoir un immense potentiel de ce côté-là. Au point de préférer que Chapman passe au second plan rapidement, si possible.
Je m'aperçois en fait que c'est de plus en plus fréquent pour moi de préférer au personnage principal les secondaires voire les tertiaires, mais avec des séries comme celle-là, comment voulez-vous faire autrement ?

Mais au sujet de l'écriture, le meilleur tour de force est l'utilisation des flashbacks. On n'a vu que ça, des flashbacks, depuis environ 10 ans ; on avait l'impression d'en avoir fait le tour et d'avoir tout vu cent fois. Et pourtant, Orange is the new black parvient à trouver une façon très élégante de l'intégrer dans la narration, en les utilisant à la fois pour expliquer le background de son héroïne, mais aussi pour servir de métaphore, ou encore servir de transition entre deux séquences plus classiques de l'arrivée en prison de Chapman. On a l'impression non seulement que ces flashbacks sont là pour nous expliquer des choses, mais aussi, voire surtout, pour comprendre ce qui traverse la tête de son héroïne (dont la tête est "encore à l'extérieur", ainsi que le dira un gardien) pendant les passages les plus clichés des séries carcérales comme par exemple la fouille.
Cette façon de nous prendre pour des spectateurs intelligents est franchement une rareté en matière de flashbacks. Certaines scènes de ce type se permettent ainsi de déjà orienter l'épisode vers quelque chose de dramatique, permettant au pilote d'Orange is the new black de ne pas se limiter à une simple exposition. C'est un vrai plaisir d'assister à une telle finesse. La valeur de la rareté, sûrement.

Même si je regrette certains ingrédients de ce pilote (sa dernière minute est légèrement trop hystérique pour moi), il est clairement solide et je comprends l'enthousiasme que peut générer la série ; je n'ai qu'une envie, me dépêcher d'en voir la suite. Mes craintes d'assister à une redite des séries carcérales déjà regardées pendant la saison écoulée, comme Unité 9 qui a clairement été l'un de mes coups de coeur, sont totalement apaisées ; c'est rare qu'un premier épisode remporte pareil défi haut la main !

Il y a des séries comme ça, qui semblent rencontrer l'unanimité ; au moment de s'y attaquer, on a toujours des appréhensions, craignant d'être déçu et que le buzz ait gonflé artificiellement nos attentes... mais il faut simplement se rendre à l'évidence : il y a toujours d'excellentes séries qui nous tombent dessus, quand bien même on persiste à entendre des "ya rien de bien cette saison" cycliquement.
Soit ça, soit je suis entourée de personnes de très bon goût.

Challenge20122013

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23 août 2013

Population carcérale

Découvrir des séries de tous horizons permet de distinguer certaines tendances qui semblent, dans plusieurs pays à la fois, se dessiner en même temps, sans apparente concertation. C'est agréable, cette impression d'avoir une vue d'ensemble.

Parfois il suffit d'un succès pour contaminer toute la planète, parfois c'est moins facilement traçable. Dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas ce qui s'est passé, les projets ayant été lancés en quasi-parallèle. Ce cas qui nous occupe aujourd'hui, ce sont les fictions carcérales.
Encore que ce n'est pas assez précis, pardon : les fictions carcérales avec des femmes.

Si vous le voulez bien, récapitulons ce que les derniers mois nous ont rapporté en la matière des quatre coins du globe :
- Juin 2012 : Dead Boss aux Royaume-Uni
- Septembre 2012 : Unité 9 au Canada
- Mai 2013 : Wentworth en Australie
- Juin 2013 : Orange is the new black aux USA
Seulement 4 séries ? Pas de quoi dessiner une tendance, me direz-vous ! Oui enfin, d'une part, ce sont 4 séries qui sont apparues en un an, dans 4 pays différents, quand il n'y en avait eu les années précédentes dans aucun pays du monde ; et d'autre part... ce post n'est pas fini ! ...Loin de là !

Il y a, certes, à intervalles réguliers, des séries carcérales féminines qui pointent régulièrement leur nez sur la planète ; mais ce sont des phénomènes isolés, quand, pour la première fois depuis longtemps (et en tous cas dans des proportions inégalées), tout le monde semble vouloir SA série sur le sujet.
Parmi les exemples ayant précédé de quelques années cette petite vague carcérale, on peut citer évidemment la mexicaine Capadocia, qui date de 2008 et que je ne saurais que vous recommander une fois de plus d'autant que les deux premières saisons sont sorties en DVD avec des sous-titres anglais, et sont trouvables par exemple sur Amazon.

Je ne suis, au juste, pas à même de dire quel évènement particulier a directement présidé à la naissance de ces séries, de façon quasi-simultanée, s'il y en a un. Par contre, la symbolique et le message de ces séries, que je m'apprête à discuter dans le post qui va suivre, peuvent peut-être servir de piste de réflexion pour expliquer cette curieuse petite mode.

OrangeistheNewBlackYou got that right : orange really is the new black !

Mais d'abord, un peu d'histoire.

Le genre du women in prison, car c'est bien d'un genre qu'il s'agit, a connu un boom au cinéma dans les années 60 et surtout 70. Le thème n'était cependant pas tout-à-fait nouveau : on trouve des films women in prison dés les années 20 (les thématiques ne sont toutefois pas explorées de la même façon ; on y reviendra).
En tous cas, l'intention derrière ces films est toujours un peu la même : c'est plutôt le genre de film indépendant qu'on fait sans trop de moyens, et avec l'objectif relativement avoué de montrer des femmes en toute gratuité, dans une configuration "sexy" ou supposée telle. C'est le cinéma sexploitation.

Il y a donc point essentiel à la base de ce genre : tous les prétextes sont bons ! Si une femme se bat (et elle va se battre), ses vêtements seront arrachés ; si elle est sale (et elle va être sale), elle va devoir prendre une douche ; si elle est punie par les autorités de la prison (et elle va être punie), alors elle sera attachée/fouettée/battue de la façon qui sera aussi "sexy" que possible. Les films ne sont pas tous égaux devant cette sexualisation (ni sur la signification de celle-ci), mais elle reste commune au genre.
De surcroît, ces films opposent souvent une femme à la planète entière, ou en tous cas, à tous les humains qu'elle rencontre en prison, ne recevant d'aide ni de la part des geôliers, ni de la part des autres détenues. Car dans ces films, les matons sont souvent brutaux, voire sadiques, et les autres prisonnières le sont à peine moins ; la torture sous diverses formes tient une place conséquente dans l'intrigue, et les prisonnières sont plus généralement soumises à des mauvais traitements injustifiés, genre fouille corporelle, un grand classique ! Le fait que tout ce petit monde vive en circuit fermé n'arrange évidemment rien à l'ambiance.
Il y a des films présentant des exceptions aux caractéristiques que je viens de citer, c'est vrai ; mais au moins un de ces ingrédients est toujours systématiquement présent dans les films women in prison post-révolution sexuelle.

Le contexte de la prison permet aussi de limiter les lieux de tournage, et donc le budget... ce qui n'est pas du luxe vu que la plupart des films women in prison sont, je l'ai dit, de petites productions indépendantes.

Plaît-il ? Un concept pas cher ? Aha, mais ça, c'est une mission pour la télévision !

Au début des années 70, plusieurs séries vont donc reprendre le concept tel qu'il existe à ce moment-là, se l'approprier, et surtout : trouver le succès. A un tel point que le genre women in prison va devenir une manne... pour les soaps !
Ca parait étonnant dit comme ça, tant on imagine que le contexte d'un soap est plutôt inoffensif (à tort), mais si on y réfléchit, ça a du sens : tourner dans un endroit absolument fermé (donc peu onéreux), avec une distribution pléthorique, et avec la possibilité quasi-infinie de toujours rendre la vie plus difficile aux prisonnières (qui de surcroît sont des femmes), eh bien... ça tombe sous le sens quand on connaît le modèle économique et narratif du soap opera.
Les années 70 vont donc voir la naissance de soaps carcéraux féminins à succès.

Dans ces colonnes, j'ai déjà pu citer la série australienne Prisoner. Lancée en 1979, elle s'inspire ouvertement d'une autre série du genre, d'origine britannique cette fois, appelée Within These Walls, et diffusée à partir de 1974 (et ce, alors qu'à l'époque les formats voyagaient moins bien qu'aujourd'hui !). L'originalité de Within These Walls, vis-à-vis des films women in prison, était de s'intéresser non pas aux prisonnières, mais plutôt au personnel de la prison et aux difficultés qu'il rencontrait dans sa mission, ce qui était déjà une innovation en soi par rapport à l'héritage des films. En humanisant les geôliers, Within These Walls se montre déjà plus soft dans ses représentations.

Ces séries vont d'une part être d'importants succès d'audience dans leur pays natal, mais surtout, seront largement diffusées de par le monde.
Diffusée en hebdomadaire, mais en calquant son modèle narratif sur celui du soap, Within These Walls s'achèvera 4 ans après son lancement ; en revanche, Prisoner sera plus longue : elle devait initialement être une mini-série, elle comptera au final 692 épisodes et s'achèvera en 1986.

Pour mieux comprendre l'impact national et international de Prisoner, je vous encourage donc vivement à relire mon post sur l'histoire de la série à travers les décennies. Le post du jour est bien assez long comme ça !

Etonnamment, alors que le phénomène women in prison rencontre le succès à la télévision, en priorité dans le monde anglophone, l'équivalent qu'on pourrait qualifier de men in prison n'existe pour ainsi dire pas, et en tous cas pas dans les mêmes conditions (le genre n'est d'ailleurs pas non plus répertorié au cinéma comme s'inscrivant dans le courant de la sexploitation).
On peut évidemment arguer qu'une fiction carcérale, qu'elle mette en scène des prisonniers hommes comme femmes, a nécessairement tendance à parler de thème violents, et à tenter la surenchère. Je vous l'accorde bien volontiers. Mais "étrangement", les personnages sont plus sexualisés dans le cas des séries féminines. De surcroît, là où le lesbianisme est un thème quasi-systématique des séries avec des femmes, l'homosexualité reste plus marginale dans les séries à population masculine, ou alors elle se limite à des sous-entendus. Pour faire la comparaison, regardez la série américaine Papa Schultz ! Certes elle est un peu antérieure aux soaps women in prison, mais rares y sont les situations explicites...
Il faut préciser à ce propos que les séries carcérales masculines de l'époque sont plutôt des comédies ; c'est le cas par exemple de la britannique Porridge, datant également de 1974. Il ne viendrait pas à l'esprit de grand'monde de torturer les prisonniers jusqu'à ce qu'ils se retrouvent à moitié à poil ! Deux poids deux mesures, comme souvent en la matière.
Je sais à quoi vous pensez et, oui, je vais en dire un mot si vous me permettez cette digression. Vu que je prépare actuellement mon post bilan de la série, on peut se demander si Oz, certes pas du tout contemporaine des séries que je viens de citer, ne tombe pas, ponctuellement, dans la plus basique des configuration propres au cinéma de sexploitation carcéral ; on y trouve après tout de nombreux acteurs montrant leurs fesses ou en full frontal, et une intrigue homosexuelle explicite parcourt une bonne partie de ses saisons. Cependant, la nudité des personnages masculins a-t-elle vraiment la même signification ? Les hommes nus dans Oz expriment des choses très variées, et pas nécessairement l'humiliation sadique qu'on trouve dans la sexploitation. Quand bien même : la série trouve une dimension philosophique et sociale qui permet de lui économiser un label peu enviable, mais il est vrai que dans ses pires épisodes, Oz ne fait sûrement pas mieux qu'un soap carcéral un peu gratuit... Faut-il s'en réjouir ? Ce sera un autre sujet pour un autre jour.

TenkoLes prisonnières de Tenko.

Après les années 70, les séries carcérales féminines feront leur apparition sur les écrans de façon plus sporadique, et surtout avec un retentissement moindre. Si j'arrondissais à la louche, je dirais qu'une deuxième vague, ou plutôt mini-vague, enfin un clapotis quoi, est apparue pendant la décennie suivante ; peut-être par effet de bord avec la diffusion de Prisoner qui était en cours, et connaissait toujours un grand succès.
En effet, en 1980, un remake de Prisoner est en projet aux USA ; le pilote de Willow B: Women in Prison ne sera pas retenu, cependant il augure d'une future tentative qui sera plus fructueuse. Mais surtout, deux séries apparaissent pendant cette décennie : d'une part Tenko en 1981 (trois saisons et un téléfilm de réunion), et de l'autre... Women in Prison, diffusée par FOX en 1987.

Ce qui est intéressant avec ces deux séries, c'est leur façon de revenir aux sources du cinema qui a donné naissance au genre, et, en même temps, d'en rompre certains codes, faisant ainsi progresser le modèle.

Ainsi, une grande partie des productions de longs-métrages women in prison revêtaient un caractère exotique : c'est le sous-genre "jungle prison", qui permet de filmer des actrices moites (tout benef'), mais aussi de sembler moins virulent envers le système pénal et d'utiliser une république bananière comme métaphore de la société actuelle. On ne compte plus les films du genre, à partir des années 70, se déroulant dans une prison moite, généralement quelque part en Asie. C'est précisément le choix que fait Tenko, co-production australo-britannique qui se déroule en 1942 après la chute de Singapour, dans un camp d'internement japonais.
Dans cette prison au milieu de la jungle se retrouvent enfermées des européennes capturées par l'armée nippone, alors qu'elles tentaient avec d'autres expatriés de fuir Singapour. Preuve que le choix de l'univers carcéral est au moins autant financier que créatif (la série a vu le jour alors que sa créatrice faisait des recherches sur une infirmière ayant vécu dans un camps similaire), la série sera entièrement filmée dans un entrepôt du Dorset, à l'exception de ses deux premiers épisodes, extrêmement onéreux et filmés on location.
Pourtant, ce qui différencie fondamentalement Tenko du reste des séries sus-mentionnées, c'est que ses héroïnes ne sont pas des criminelles, mais des prisonnières de guerre. Et elles vont non pas se retrouver dans une situation de violence mutuelle, mais s'unir contre leurs geôliers étrangers, du moins dans la première saison (la seconde, située dans un nouveau camps, mettra en scène des femmes "collabos" qui tiennent la prison japonaise ; la troisième mettra l'accent sur leur libération).

Quant à l'américaine Women in Prison, dont on peut difficilement douter vu son titre que ses producteurs ignorent ce qu'ils font, elle reprend le principe très classique de l'innocente injustement condamnée, qui se retrouve dans un univers carcéral dont elle ne connaît pas les codes. Toutefois, et c'est une première pour le genre, il s'agira cette fois d'un sitcom multi-camera. La série n'obtiendra jamais les "back nine", et sera annulée après la diffusion de ses 13 épisodes.

Ces fictions sont des séries hebdomadaires qui s'inscrivent dans leur genre atitré (drama pour Tenko, comédie pour Women in Prison) et s'éloignent du soap.
La toute dernière série anglophone sur le sujet à être diffusée en quotidienne est Dangerous Women, lancée en 1991 en syndication aux USA ; mais il s'agit d'un remake de Prisoner, elle en reprenait de nombreux personnages, des intrigues, et bien évidemment la structure. D'ailleurs le succès ne sera pas vraiment au rendez-vous, et après une saison, Dangerous Women disparaîtra de l'antenne.

En 1999, ce sera finalement au tour de la britannique Bad Girls de reprendre le flambeau, là encore au format hebdomadaire ; jouissant d'une belle longévité, la série durera au total 8 saisons. Les USA ont d'ailleurs envisagé plusieurs d'en faire un remake : d'abord sur FX, puis sur HBO par Alan Ball, et finalement en 2012 sur NBC par John Wells... avant de se raviser. Bad Girls a également été diffusée dans de nombreux pays du monde, bien que souvent de façon incomplète.

HinterGittern
Hinter Gittern
, le plus littéralement du monde.

En dehors du "triangle" Grande-Bretagne/Australie/USA, les séries carcérales féminines sont inexistantes pendant plusieurs décennies. Dans de nombreuses contrées, le concept de women in prison, s'il est jamais exploité, l'est plutôt au cinéma (indépendant) qu'à la télévision : on compte par exemple de nombreux films du genre en Italie et en Asie (un peu NSFW).

Cela fait moins d'une décennie seulement que les choses ont commencé à changer.
Outre les exemples de Capadocia et Unité 9, plus amplement détaillés dans des posts antérieurs, voici une petite liste de ce que le monde non-anglophone a pu proposer dans le domaine en l'espace de quelques années.

Tout commence avec Hinter Gittern ("derrière les barreaux"), une série allemande qui voit le jour en 2007. Si ses intrigues sont plutôt classiques sur le fond, son cas est cependant un peu atypique sur la forme puisque, bien que la série soit diffusée de façon hebdomadaire, elle emprunte aux codes du soap, rappelant ainsi, encore une fois, combien elle doit à Within These Walls et surtout Prisoner ; elle est, en outre, diffusée sans interruption à longueur d'année, exactement comme de nombreux soaps.
Hinter Gittern connaîtra même des crossovers avec des soaps allemands, plus précisément Gute Zeiten, Schlechte Zeite et son court spin-off Großstadtträume. Lors de ces crossovers, des femmes arrêtées dans l'un des soaps étaient alors envoyées purger leur peine ou attendre leur procès dans Hinter Gittern.

Cette série sera adaptée en Turquie la même année, sous le titre de Parmaklıklar Ardında (une traduction littérale), tournée dans la véritable prison de Sinop qui avait été fermée quelques années plus tôt. La version turque durera 3 saisons, contrairement à la série allemande qui en comportera 16 au total (il faut dire que ses saisons sont découpées de façon assez hors normes).
Jusque là, la Turquie n'avait jamais connu que des mini-séries carcérales en assez petit nombre, évitant de passer trop de temps dans cet univers anxiogène. Elles étaient de sucroît toutes centrées sur des prisons pour hommes, à l'instar de la mini-série Köpek en 2005 (également tournée à Sinop, d'ailleurs). Là où Parmaklıklar Ardında donne dans les thèmes habituels du genre women in prison (évidemment en s'adaptant à la culture turque), Köpek en revanche interroge le cycle vicieux de la criminalité, à travers l'histoire d'un homme né en captivité et qui finit par y passer la plus grande partie de sa vie, devenant ainsi un véritable prédateur. Au passage, vu la réputation des prisons turques depuis Midnight Express, ça doit valoir le coup d'oeil !

Intéressante aussi mais pour une toute autre raison : la série vietnamienne Định Mệnh Oan Nghiệt, diffusée en 2007. Cette fiction offre un twist original à la formule classique : la série commence alors que trois soeurs, orphelines et élevées séparément dans différents foyers ou familles d'accueil, se retrouvent dans une même prison, suite au crime de l'une d'entre elles qui fait boule de neige. Du fait de leur histoire particulière, elles sont à la fois dans une situation classique du women in prison, c'est-à-dire sont seules contre tous (subissant à la fois la violence des co-détenues et celle de leurs gardiens ; de surcroît leur background a aussi des conséquences sur leurs rapports avec la direction de la prison), tout en étant, à l'instar des femmes de Tenko, unies face à l'oppression.

Unite9_JeanneJeanne d'Unité 9, l'une des créatures blessées qui peuplent invariablement les séries women in prison.

Oppression, le mot est lâché. Car quelle est, au fond, la symbolique de toutes ces femmes enfermées, série après série, décennie après décennie ?

Le principe de montrer des femmes en prison repose en effet sur une dynamique bien différente d'une prison pour hommes.
Aux origines des films des années 20, le genre women in prison s'appuie volontairement sur un paradoxe, qui sera régulièrement repris par la suite : d'une part, la femme est considérée comme naturellement douce, gentille et sensuelle ; mais puisqu'elle est une mise au ban de la société et qu'elle est considérée comme criminelle, ces qualités sont perverties et elle devient alors violente, malfaisante, et se livre à une sexualité considérée comme plus masculine, c'est-à-dire brutale voire dégradante (ou, dans le cas des films des années 20, elle se livre à une sexualité quelconque, ce qui la dégrade automatiquement).
La sexploitation conduira à une érotisation progressive (bien que pas systématique) de ces thèmes au cinéma, et donc à la télévision.

Il est courant chez la quasi-totalité de ces séries de passer les portes de la prison aux côtés d'une femme qui, elle, au contraire, est bel et bien douce, gentille, et innocente (si possible y compris sur un plan sexuel). Faites le test sur les séries carcérales féminines que vous connaissez !
En fait, c'est bien simple : une héroïne principale de série women in prison est toujours innocente par défaut. Elle a tué ou manqué de tuer quelqu'un ? C'était de la légitime défense : c'est le système qui est bancal. C'est précisément ce que la série a pour vocation de souligner : une femme a suivi les règles du jeu, a quand même fini condamnée, et va maintenant vivre une descente aux Enfers dans un univers auquel rien ne la destinait.

C'est d'ailleurs vrai pour les autres séries qui vont employer l'axe de la femme en prison temporairement, bien que n'ayant pas comme sujet central la vie en prison elle-même. Prenez par exemple Just Cause, série canadienne totalement oubliée (dont je ne me souviens que parce qu'une actrice de la saison 3 de Rude Awakening y tenait le rôle principal). Toute l'histoire repose sur le fait que l'héroïne a été emprisonnée pour un crime qui n'était pas le sien (mais celui de son mari), et qu'elle passe son incarcération à obtenir son diplôme en droit. Elle bénéficie ensuite d'une libération sur parole pour sa bonne conduite, pendant laquelle elle va se démener pour aider d'autres personnes accusées injustement et leur éviter la prison.
Plus occasionnellement encore, certaines héroïnes de séries autrement filmées hors des murs d'une prison, se retrouvent à l'ombre le temps d'un épisode ou moins, comme par exemple Loïs Lane dans Loïs & Clark. Là encore, Loïs est piégée pour un crime qu'elle n'a pas commis, et se débat contre un système qui se retourne contre elle, alors que Loïs est une working girl performante qui a suivi les règles de la société pour s'imposer socialement et professionnellement. Quelle injustice !
Au passage, mentionnons qu'un magnifique hommage aux films women in prison des années 70 sera rendu dans un épisode de Pacific Blue où l'une des fliquettes s'infiltrera dans un pénitentier, se faisant passer pour une détenue ; il est vrai que les dernières saisons de Pacific Blue n'étaient que pure sexploitation à partir du moment où chaque épisode était prétexte à aborder un nouveau fétiche, soi-disant en s'infiltrant dans un nouvel environnement pour mener une enquête, mais cela reste un parfait exemple. Oui j'étais devant la télé dans les années 90, sue me.
On pourrait citer plein d'autres exemples, naturellement. Pour ma part je n'en ai pas vu certains, à l'instar de, attention spoiler pour les retardataires, Weeds, mais je vous laisse le soin d'explorer ces exemples en commentaires ; il y a des chances pour que dans le lot, on trouve des exceptions qui confirment la règle !

Le but du jeu dans tous les cas : voir l'oie blanche (ou l'équivalent de l'oie blanche dans un milieu criminel) lutter contre la tentation de devenir elle-même une créature violente, malfaisante et à la sexualité brutale, la suivre alors qu'elle s'accroche à son innocence... mais, inexorablement, la perd progressivement à travers la réalité de la prison. Pour le plus grand délice sadique du spectateur, comme souvent.

C'est souvent sordide, si l'on y pense. Car la forme-même de la série (et à plus forte raison du soap), contrairement au film, implique qu'une libération n'est pas à envisager dans l'immédiat (plus de prisonnière = plus de série !). Il est dans l'intérêt des scénaristes et donc des spectateurs de faire durer la peine, de ne pas tendre vers une sortie, ni même une amélioration derrière les murs.
L'objectif d'une série carcérale au sens large est de durer, et donc de maintenir la population enfermée dans une situation traumatique ; la surenchère en est une conséquence logique. De ce fait, les séries women in prison n'ambitionnent pas de redresser les prisonnières, ni de faire en sorte qu'une condamnée puisse réintégrer la société, et y trouver une place "honnête" ou en tous cas acceptable.
On l'a dit, les fictions carcérales féminines sont nées dans les années 70, et puisent dans les films d'alors leurs origines. Du coup, rares sont les fictions du genre, y compris aujourd'hui, qui explorent les thèmes des tous premiers films women in prison. Les longs-métrages des années 20 et 30 insistaient en effet sur la réhabilitation, la réintégration de la femme criminelle (ou considérée comme telle par la société) dans une vie plus rangée, plus conventionnelle. Réinsertion était le maître-mot, c'était surtout la méthode qui changeait : si certains films passaient par un pur et simple redressement (presqu'un dressage), la plupart en revanche privilégiaient la notion d'amélioration de la prisonnière elle-même, ou de l'univers carcéral au sens plus large. On retrouve peu ou pas cet ingrédient dans les séries women in prison.
C'est assurément un signe des temps, aussi.

Que les prisonnières se mettent bien dans le crâne qu'elles sont enfermées pour de bon, là où beaucoup de fictions carcérales masculines mettront plutôt l'accent sur l'espoir de liberté ; sans même aller jusqu'à évoquer The Shawshank Redemption, c'est quand même un peu tout le postulat de Prison Break. Dans l'imaginaire de ces fictions, la femme est prisonnière. Enfermée. Il faut la faire plier. Elle va tenter de réagir, de s'adapter... mais pas vraiment de s'échapper : ce n'est pas le propos de ces histoires.
Femme, tu appartiens à tes geôliers, donc. Il dépend de leurs bonnes grâces que tu ne finisses pas tailladée dans la cour ou poignardée dans une douche (et qu'ils soient hommes ou femmes influe assez peu sur leur cruauté, comme le montre l'exemple de Tenko). Le véritable geôlier est le spectateur, naturellement. Les origines "sexploitatives" du women in prison télévisuel sont là pour nous rappeler que c'est là tout le sens que prend l'enfermement de ces femmes, vu qu'il s'agissait d'un cinéma par essence voyeuriste.

D'ailleurs, puisque l'héroïne est innocente (ou victime des circonstances, ou au moins d'une grande naïveté), il n'est donc même pas même pas vraiment question de punir une criminelle, mais de rabaisser une femme qui n'a rien fait de mal d'autre que d'exister dans une société qui lui est défavorable, de la torturer mentalement, émotionnellement, physiquement, et de la pousser dans des comportements sexuels qu'elle n'aurait bien souvent pas choisis à l'air libre (la convoitise, les attouchements et le viol sont, naturellement, très présents dans ces fictions).

Le jour où une série women in prison se sera totalement extirpée du trope de l'héroïne qui est là sans raison valable autre que les injustices, on aura vraiment écarté la dynamique des films notamment sexploitation dans les séries women in prison ; mais pour le moment, ils restent tout de même la plus grande influence sur les fictions télé du genre.
Et il y a une autre bonne raison à cela.

Capadocia_OnsenlassepasCapadocia, on s'en lasse pas.

Quand une série carcérale féminine veut éviter la gratuité (et c'est de plus en plus le cas reconnaissons-le), la perte d'innocence est  métaphorique ; quand évidemment, elle peut être prise de façon plus littérale dans une série plus décomplexée ; rappelons au passage que dans les années 70, les soaps australiens en particulier étaient très chauds (tiens, je vous ai déjà parlé de Number 96 et The Box ? Ah, oui.).
Dans ce cas, il reste toujours l'option de déléguer aux personnages secondaires les intrigues les plus explicites ; là encore, c'est ce qu'ont choisi de faire les séries de l'année écoulée. Et puisqu'on parle de personnages secondaires, eux aussi sont un peu toujours les mêmes : la prisonnière âgée qui s'est adoucie et aide les nouvelles à leur arrivée, l'animal qui n'a presque plus rien d'humain et laisse libre cours à ses pulsions (oh, Bambi), la jeune mère qui s'inquiète pour ses enfants, et ainsi de suite.

Lorsque cette gratuité est évitée pour tout ou partie, la violence décrite prend alors la forme d'une dénonciation sociale.
C'est le but avoué du genre depuis les tous premiers films women in prison des années 20 ; les séries ne font pas exception. Dans son essai "Women in prison movies as feminist jurisprudence", paru dans le Canadian journal of women and the law, la professeure Suzanne Bouclin explique en introduction que :

"certains [films women in prison] offrent des façons d'imaginer la violence de l'Etat et des pratiques judiciaires ainsi que l'inhumanité des institutions de manière à laisser entrevoir des injustices plus grandes de genre, de race et de classe, qui rendent certaines femmes en particulier plus vulnérables à la criminalisation et à l'incarcération."

Comme la plupart des séries carcérales au sens plus large, les séries women in prison accomplissent la même mission, quoi qu'à des degrés variés, et sur des modes qui varient au cours de leurs saisons. A travers des scènes qui peuvent parfois sembler relever de la plus pure et simple sexploitation, les séries carcérales féminines se montrent alors incisives dans leur façon de dépeindre les inégalités sociales auxquelles les femmes font face, et qui les conduisent en prison bien malgré elles.

Le réquisitoire le plus explicite à cet égard est celui de Capadocia ; en choisissant de montrer également ce qui se passe à l'extérieur de la prison, et plus précisément parmi les autorités pénitentiaires, politiques et économiques (...essentiellement masculines), la série met en évidence le "piège" qui s'est resserré sur bon nombre des femmes aujourd'hui derrière les barreaux.

La journaliste mexicaine Marcela Turati met d'ailleurs ce phénomène en exergue dans son article "Capadocia: La realidad que supera la ficción", où elle met en parallèle les personnages et intrigues de la série de HBO Latino, avec le parcours de véritables prisonnières mexicaines qu'elle a rencontrées. Pour elle, les femmes en prison ne sont pas des criminelles mauvaises jusqu'à la moëlle, mais avant tout des femmes fragilisées socialement. Elle cite les statistiques : sur 11 000 femmes incarcérées au Mexique, 96% des sont mères d'au moins trois enfants, 70% n'ont pas dépassé le niveau de l'école primaire, et 20% sont analphabètes. Des chiffres qui n'ont rien de strictement mexicains.
Et de citer le monologue d'un des personnages de la série, l'avocate Teresa Lagos spécialisée dans les Droits de l'Homme, expliquant à un étudiant qui lui demande pourquoi s'occuper des droits des prisonnières :

"Certains crimes sont commis avec préméditation, mais il n'y a pas que cela. Il ne s'agit pas de dire que toutes les victimes sont innocentes, mais qu'une bonne partie des prisonniers qui vivent dans les prisons de notre pays sont emprisonnés pour des erreurs administratives, des défaillances dans le système de justice, parce qu'ils n'ont pas mille pesos pour payer un pot-de-vin. Historiquement, notre société a toujours puni sévèrement les femmes et les épouses. Nous ne pardonnons pas à nos mères, à nos sœurs ou à nos filles ce que nous pardonnons aux hommes de notre famille. La société impose à la femme une responsabilité qu'elle n'a pas demandée. Il est attendu de nous de la soumission, de l'abnégation, et le renoncement à nos désirs, parce que l'homme né de la famille est à la base de la société, et que la femme est à la base de la famille. Mais qu'advient-il lorsque vous supprimez la base de la base ?"

Un sujet exploré plus en profondeur, bien que hors des murs d'une prison, par la série argentine Mujeres Asesinas (adaptée sous le même titre au Mexique, et bientôt aux USA sous le titre Killer Women).
Cette série, dont le format est anthologique, s'applique à montrer des meurtres commis par des femmes que souvent jusque là rien ne prédisposait à la violence. D'ailleurs, la structure-même de la série le met bien en évidence, notamment à travers les titres des épisodes. Ceux-ci portent en effet des appellations suivant le modèle : "Marta Odera, monja" (Marta Odera, la nonne ; c'est le titre du pilote de la version argentine). Si tous les titres ne sous-entendent pas forcément que les femmes assassins sont nécessairement innocentes à l'origine, beaucoup le sont, ou vivent dans une situation compliquée qui en fin de compte les pousse dans leurs retranchements, telle "Felisa, desesperada" (Felisa, désespérée).

Tout n'est donc à jeter dans ces séries carcérales féminines, vous l'aurez compris : loin de là. Cela ne signifie pas non plus qu'elles sont dans la gratuité permanente.
Ces fictions sont capables de dire quelque chose d'intéressant sur la nature humaine ou la Justice, mais aussi sur la condition des femmes dans une société patriarcale. Mais leur concept de départ et la critique sociale qui se trouvent dans ces séries reposent simplement sur une mise en scène généralement plus sexualisée (et pas de la même façon) que pour les séries carcérales masculines.

GorusGunuKadinlari "Eylül'de" qui signifie "en septembre", on en a tous profité pour apprendre un mot de Turc dites donc.

Vous pensiez que c'était fini ? Pas franchement. Ainsi que j'ai pu le dire, l'idée n'est pas nouvelle, et ne risque donc pas de disparaître de sitôt.
La preuve avec une fiction carcérale féminine prévue pour la Turquie, et cette fois ce n'est pas un remake : Görüş Günü Kadınları, commandée par la branche locale de FOX, et suivant le destin de quatre femmes emprisonnées ; la série débarque pour la rentrée automnale sur la chaîne.

Et en attendant, je termine de rédiger ma review du pilote d'Orange is the new black. Ah oui ! Parce que je ne vous l'avais pas dit ? Au départ, c'était sur cet épisode que je voulais écrire pour mon post du vendredi...

16 août 2013

R13 E01

La première fois que j'ai vu ce sigle, je me suis dit "damned, je connaissais S01 E01, mais là, c'est une colle".
Cette fois-là, il m'avait bien fallu une bonne dizaine de minutes avant de comprendre que, ah ok, j'y suis, le "R" est pour Ramadan. Et en même temps c'est logique : si une série n'est diffusée que pendant le Ramadan, c'est beaucoup plus simple de parler du Ramadan de quelle année, plutôt que d'essayer d'en compter les saisons !
J'en profite donc pour transmettre ma science : "R13 S01", c'est, pour une série donnée, le premier épisode d'une série (ou saison) diffusée pendant le Ramadan 2013. Allez hop, un nouvel outil à ajouter à notre Guide de survie !

Ce mois téléphagique pas comme les autres sera en effet notre sujet du jour, alors que le Ramadan s'est achevé la semaine dernière.

Ramadan-2013

Pour le troisième été consécutif, me voilà donc à me demander comment je vais vous parler des séries du Ramadan.
Non, ce n'est en fait pas tout-à-fait juste : pour le troisième printemps consécutif, je me demande comment je vais vous parler des séries du Ramadan cet été. C'est un processus qui m'épuise du fait de la barrière de la langue (les recherches en anglais ou en français donnant des résultats très incomplets, quand il y a des résultats, ce qui n'est pas le cas pour toutes les fictions), mais qui m'intéresse aussi énormément, car je ne doute pas qu'il y ait des dizaines de séries à découvrir. Perspective qui ne peut que mettre en joie le téléphage curieux !
Et quand je dis "dizaines", je n'exagère pas : pendant mes recherches, cette année, j'ai déjà relevé 65 mosalsal au Moyen-Orient, et un peu moins de 30 en Afrique du Nord ! Et de toute évidence, de nombreuses autres sont passées entre les mailles de mon filet.

Aussi ai-je tendance à essayer de donner dans la sélection à vocation récapitulative ; c'est précisément ce que j'ai fait la première année. Je vous invite d'ailleurs chaleureusement à relire au moins le début de ce vieil article, ainsi que mon article introductif sur la télévision égyptienne, pour obtenir des éléments de contexte que vous ne trouverez pas ci-dessous.
La deuxième année, j'avais commencé un article récapitulatif similaire... mais ma coupure d'internet prolongée avait réglé le problème à ma place. Bon.
Cet été, j'allais opter pour un récapitulatif également, avant de me raviser, craignant que ce soit fastidieux à lire (et moyennement excitant de voir une litanie de titres). J'ai alors commencé à plutôt ambitionner de vous parler uniquement des séries les plus polémiques. Finalement le mois du Ramadan est passé, je ne m'étais toujours pas décidée... alors j'ai résolu de vous emmener dans une promenade à travers le profil de trois séries seulement, en choisissant de mettre en avant des fictions qui avaient retenu mon attention. L'une a fait polémique, la deuxième s'inscrit dans l'histoire télévisuelle de son pays, et la troisième est très atypique, bref, c'est un petit panachage de ce que j'avais préparé ces derniers mois, avec plutôt des éléments de contexte qu'une énumération de séries longue comme le bras.
Avec le temps, on finira bien par trouver une formule qui convienne à tout le monde, pas vrai ? N'hésitez pas à me dire ce qui aura le mieux fonctionné pour vous.

Ramadan-Icon

Mais d'abord, quelques chiffres pour se remettre dans le contexte de ce mois téléphagiquement unique. Une étude menée à l'occasion du Ramadan a été commandée par OSN, leader de la télévision payante au Moyen-Orient, pour étudier les habitudes des spectateurs pendant cette période télévisuelle exceptionnelle (pour rappel, on estime que jusque pendant ce mois, dans la région, 80% des séries de l'année sont diffusées).
Dans cette enquête, donc, il apparait que pendant cette période, environ une personne sur trois va regarder la télévision, entre 3 et 5 heures par jour (contre une moyenne de 3,1 heures le reste de l'année). Je dis "environ une personne sur trois", car les chiffres varient d'un pays à l'autre : ainsi, c'était le cas de 37% des Egyptiens, contre 33% des Saoudiens, ou encore 30% des Koweitiens.
Et encore, il y a pire/mieux ! Car 15% des Egyptiens regardent entre 5 et 7 heures de programmes par jour ! Par jour ! Pendant 30 jours de suite ! Qui dit mieux ?

Il est bon de noter que ces programmes ne sont pas systématiquement des séries : les programmes préférés des spectateurs sont, certes, à 35%, les fictions, mais elles sont suivies, à 28%, par les talk shows ; les programmes purement religieux occupent la troisième place, contre toute attente ; ex-aequo avec les programmes d'information qui connaissent, depuis quelques années, et pour des raisons évidentes, un regain d'intérêt.
Après, on ne s'étonnera pas que ce mois faste fasse le bonheur des annonceurs !

Parmi les autres préférences des spectateurs, on apprend dans cette étude qu'en moyenne 80% des spectateurs de la région jugent impératif de regarder la télévision en HD ; 82% des sondés indiquaient êtres "très agacés" que des coupures de pub interrompent leurs programmes ; et 60% des personnes interrogées indiquaient qu'il leur était vital de pouvoir regarder la télévision à la carte. Une dernière demande qui est intéressante car pendant longtemps, les grilles des chaînes se calquaient sur l'heure de l'iftar (ou ftour), un modèle qui persiste mais qui est visiblement voué à changer. Ces exigences se retrouvent de nos jours au niveau mondial, évidemment, mais sont exacerbées pendant le Ramadan, de par le volume de télévision consommé ; la tradition dans laquelle ce mois télévisuel s'inscrit rend les changements d'autant plus intéressants à observer.

Le plus surprenant dans cette enquête, c'est que 80% des personnes interrogées, tous pays confondus, attendaient avec impatience de pouvoir regarder, pendant le mois de Ramadan, la troisième saison de la série turque Muhtesem Yüzyil, plus connue dans la région sous son titre arabe Hareem Al Sultan (que la plupart des chaînes du coin se gardaient sous le coude, histoire de capitaliser sur les audiences légendaires du Ramadan). 80% dans tout le Moyen-Orient, le chiffre a de quoi faire tourner la tête ; mais le plus surprenant, c'est que 60% des sondés n'avaient pas vu, ou seulement de façon très sporadique, les deux premières saisons. Voilà qui en dit long sur le phénomène créé par cette série historique. Ca va décidément être un sacré appel d'air quand sa diffusion va se conclure...
En Egypte, en particulier, ce chiffre marque la différence entre les spectateurs d'une part, et les professionnels de l'industrie télévisuelle d'autre part, ces derniers ayant appelé au boycott des séries turques, avec évidemment Muhtesem Yüzyil en première ligne étant donné son succès. Les raisons ne sont pas seulement créatives (chaque pays étant convaincu de la supériorité de ses fictions...), puisqu'il s'agit d'une réaction politique à l'encontre du gouvernement turc, qui soutenait le gouvernement de Mohamed Morsi (au temps pour la thune, le pognon et le flouze le rayonnement culturel...). La diffusion de la série a tout de même été maintenue, faut pas déconner.

Sauf qu'aujourd'hui, on ne va pas encore une fois faire des tartines sur Muhtesem Yüzyil (si vous manquez cruellement de lecture, vous avez tout ce qu'il vous faut dans les liens ci-dessus !), mais bien nous intéresser à des séries spécialement créées et diffusées à l'occasion du Ramadan dans le monde arabe.
En voici donc quelques unes qui ont attiré mon attention...

HekayetHayah

Chaque année, le mois de Ramadan apporte son lot de séries "scandaleuses" ; de par la nature religieuse de ce mois télévisuel, les séries doivent en effet trouver un juste milieu entre leur volonté d'attirer les spectateurs (avec ce que cela implique parfois de surenchère, d'autant que vous l'aurez compris, la concurrence entre chaînes est rude) et le fait que ceux-ci aspirent à une certaine dignité dans leurs programmes. Gare aux séries qui seront considérées comme immorales ou, pire, obscènes ! Hekayet Hayah, écrite par Ayman Salama, et réalisée par Mohamed Samy pour CBC en Egypte, est l'une de celles-ci cette année, et vous allez vite voir pourquoi.

Cette série égyptienne s'intéresse à une femme venant d'une famille extrêmement riche, Hayah, qui a été jugée coupable du meurtre de sa mère ; dans un pays où la peine de mort est encore d'actualité, elle s'en sort relativement "bien", puisqu'elle est simplement placée en hôpital psychiatrique (ses affirmations au sujet d'un complot de sa famille pour récupérer l'héritage qu'elle a reçu de son père permettant à la dite famille de la faire prononcer irresponsable... et du coup de la déchoir de son héritage, bingo !).
Par la suite, dans l'hôpital psychiatrique plutôt select où elle est internée, elle est violée par un membre du personnel. Au bout de 13 années passées dans cet Enfer, où en quasiment personne ne lui a rendu visite, et même pas écrit une seule fois, elle sort donc de captivité, je veux dire de convalescence, et retrouve sa famille.
Enfin, pas tout-à-fait : sa soeur a épousé le mari de Hayah (ça fait toujours plaisir), et c'est elle qui a élevé leur fils comme si elle était sa mère. Résultat, le jeune homme ignore totalement l'existence de sa mère biologique ! Comment faire pour se rapprocher de lui ? Eh bien, la solution que trouve notre héroïne, et vous allez j'en suis sûre trouver que ça tombe sous le sens, c'est d'entamer une relation amoureuse avec lui. En plus, je ne sais pas quel âge il est supposé avoir, mais dans le pilote, il n'a pas l'air d'être totalement sorti de la puberté...

Comme si cette relation incestueuse ne suffisait pas, Hekayet Hayah suit d'autres intrigues secondaires en parallèle... comme par exemple un personnage qui se tape sa secrétaire, ou d'autres qui se trompent à qui mieux-mieux, notamment le mari de Hayah avant même que celle-ci ne soit internée. Oh, et dés le pilote, plusieurs personnages boivent de l'alcool, aussi, ce qui est moyennement halal. Il parait aussi que les dialogues sont émaillés de langage déplacé, et même d'un personnage s'en prenant à la religion, mais je laisse le soin à ceux d'entre vous qui parlent l'arabe de me le confirmer.

Le parfum de scandale ne s'arrête pas là. Omar Sharif s'était vu offrir l'un des rôles de la série, pour pas moins de 3 millions de dollars, une somme plutôt coquette puisque cela représente un million de plus que les prix pratiqués d'ordinaires avec les stars du Ramadan (que j'imagine, sans être capable de le sourcer, être des dollars US) qui a pas mal fait parler de la série alors qu'elle n'était qu'au stade de projet, et qu'elle portait alors un autre titre, Ma'a Sebq Alesrar. Il a apparemment fini par refuser le rôle ; je ne l'ai pas vu au générique et il semble que les rôles masculins d'âge équivalents (dont le fameux père de Hayah) soient interprétés par d'autres acteurs... ou alors il a VRAIMENT pris un coup de vieux.
Mais plus encore, c'est l'actrice Ghada Abdelrazek qui a fini par faire les gros titres. Elle ne s'est pas du tout entendue avec le réalisateur Mohamed Samy, mais ça, encore, ça irait : elle l'a notamment accusé de venir sur le tournage sous l'effet de diverses substances... Sauf qu'en face, lui l'a accusée d'avoir tenté de le tuer ! Ou quand la réalité dépasse la fiction.

Si, comme pour la plupart des séries polémiques du Ramadan, le plus gros défi pour la production était que les chaînes de télévision ne recule pas devant les plaintes des spectateurs et retirent purement et simplement la série de l'antenne (à la place, de nombreuses chaînes l'ont amputée de ses scènes les plus obscènes, notamment le diffuseur Abu Dhabi TV qui en avait les droits dans plusieurs pays du Moyen-Orient), il faut reconnaître qu'une fois ce cap passé, les audiences de Hekayet Hayah ont été plutôt satisfaisantes.
On doit probablement une partie de ce succès à une évidence : la série emprunte une panoplie de codes au soap opera, des musiques grandiloquentes aux décors richissimes (la maison de l'ex-famille de Hayah est assez incroyable, people who live in glass houses et toute cette sorte de choses), en passant par certains membres du cast juste un peu trop enthousiastes, comme la frangine colérique. Et, on aime les soaps ou pas, mais en tous cas, ça marche.

Et au fait, Hayah a-t-elle assassiné sa mère ? Réponse à partir de la 42e minute dans le pilote ci-dessous. Attention, de la cervelle peut apparaitre brièvement dans cette séquence...
(hélas l'épisode n'est pas sous-titré, il faudra donc regarder les scènes précédentes si vous voulez comprendre le contexte)

Avant de passer à la série suivante, j'en profite pour souligner qu'outre le caractère volontairement outrancier de certaines séries, comme c'est visiblement le cas de Hekayet Hayah ou d'Asya (une série dans laquelle une jeune femme se marie, perd la mémoire et devient alors danseuse du ventre dans un casino, écrite par le scénariste de la série Al Mowatin X), parfois, il en faut peu pour poser des problèmes.

Prenez le cas d'une série religieuse. "Ah, bien", me direz-vous : "là au moins on ne risque pas d'avoir des intrigues incestueuses !" (...vous avez lu la Bible récemment ? Parce que c'est pas du tout une garantie, en fait ; mais je digresse).
Sauf que vous vous rappelez de ce petit détail selon lequel il ne faut pas représenter les figures religieuses musulmanes ? Ouais, exactement : pour une série télévisée, c'est un peu problématique. Cette année (car c'est évidemment une problématique récurrente), le défi s'est posé à la série Al-Hassan wa Al-Hussein, qui raconte le schisme entre sunnites et chiites, à travers l'histoire de ces deux frères, tous deux imams, et tous deux héritiers de Mahomet. C'est précisément en se disputant la succession de Mahomet au 7e siècle qu'ils vont provoquer ce schisme. Problème, donc : les proches de Mahomet, c'est-à-dire la famille, mais aussi les compagnons, ne peut être représentés à l'écran. Second problème : le schisme est quand même une question un tantinet sensible, qui a encore des répercussions (souvent sanglantes) aujourd'hui. Résultat ? La série a été bannie de l'antenne sur la télévision nationale égyptienne. Ca partait pourtant d'une bonne intention... mais non.

Je serais curieuse de savoir pourquoi, tels des insectes attirés par la lumière d'un bug zapper, les productions persistent à tourner des séries onéreuses pour finir par les voir interdites en vertu du principe qu'on ne représente pas les figures religieuses, mais je n'ai pas la réponse. Sûrement qu'il y a une question de revente de droits qui leur permet de rentrer dans leurs frais (puisque d'après ce que je lis, les sunnites sont plus à cheval sur ce problème de représentation que le chiites), mais ça reste pour le moins risqué. Pour bien faire il faudrait pouvoir interviewer quelqu'un dans l'une de ces productions, mais mon arabe est un peu, euh, rouillé...

Ramadan2013_DarElBahdja

On poursuit notre petit tour par une série algérienne, pour changer un peu de coin. Avec un total de 11 épisodes, Dar El Bahdja a été diffusée cet été sur trois chaînes du groupe ENTV en Algérie juste après l'iftar. La série est écrite par Athmane Bendaoued et Djâafer Gacem, et réalisée par ce dernier, auquel on doit déjà Djemai Family, une série qui a duré trois Ramadan à la télévision algérienne entre 2008 et 2011.

En fait, Dar El Bahdja était au départ supposée être la suite de Djemai Family, mais en raison de changements de distribution conséquents (dont le rôle principal, quand même !), et de l'échec de la troisième saison il y a deux ans (des personnages de vampires ont été introduits dans la série, surprenant que ça n'ait pas plu...), le projet a finalement été repensé. Reste que, jusqu'au mois de mai, la série était en fait présentée par Gacem comme la 4e saison de Djemai Family, avant qu'il ne devienne évident que les changements imposés par les variations du cast étaient trop importants.
Réorientation oblige, Dar El Bahdja a tenté de repartir dans une autre direction, et s'est inspirée, dit-on, de la série à succès syrienne Bab Al Hara, qui se déroule intégralement dans un quartier populaire, dans les années 20 puis, les saisons passant, les années 30. Moi je vous dis ça, j'en sais rien : je n'ai jamais regardé Bab Al Hara, je ne serais pas capable de vous dire à quel point l'inspiration est évidente. Mais en tous cas, le juste milieu semble être trouvé puisque Dar El Bahdja se déroule ostensiblement de nos jours (on y voit un personnage utiliser Google Maps).

En dépit du contexte, celui d'un quartier dans lequel se côtoient des personnages hauts en couleurs et d'origine sociale variée, qui semble plutôt permettre d'explorer des axes comiques si prisés pendant la période du Ramadan, Dar El Bahdja n'est pas une comédie mais plutôt une dramédie. Gacem aborde au travers de la série des problématiques actuelles rencontrées au sein de la société algérienne. Le sujet central de la série est ainsi l'émigration, même si le pilote, auquel vous pouvez jeter un oeil ci-dessous (hélas, pas sous-titré non plus), met avant tout l'accent sur l'exposition du quartier et les intentions de ses héros, plutôt que sur le voyage lui-même.
La série suit donc Réda, Zinou, Kader et Mohamed (dit "Petit Moh"), quatre jeunes vivant dans un quartier populaire algérien, et qui veulent se tirer de là à tout prix. Ils tentent d'organiser leur départ vers l'Europe et plus précisément l'Italie, mais, de par leurs moyens, ce départ ne peut se faire que dans la clandestinité, ce qui pose des problèmes supplémentaires aux autres préoccupations telles que quitter ceux qu'on aime. Evidemment, rien ne se passe comme prévu dans le plan des garçons, surtout quand les familles des uns et des autres s'en mêlent...

Dar El Bahdja est aussi l'occasion de retrouver à la télévision algérienne l'actrice et chanteuse Biyouna, vue en France, entre autres, dans la série de téléfilms Aïcha, écrite et réalisée par Yamina Benguigui, ou dans le film La Source des Femmes, sélectionné au festival de Cannes en 2011. (Biyouna a depuis été faite Chevalier des Arts et des Lettres par la ministre Yamina Benguigui, mais ce n'est sûrement qu'un hasard)
L'actrice avait en effet fait ses débuts sur le petit écran algérien dans les années 70, et avait précédemment collaboré avec Gacem pendant trois saisons de la série Nass Mlah City il y a une dizaine d'années. Cela faisait pourtant 7 ans que les spectateurs algériens ne l'avaient pas vu dans une fiction nationale, autant dire une éternité ! La présence de l'actrice compense pour les nombreuses pertes au casting de Dar El Bahdja par rapport à Djemai Family, car il s'agit d'un véritable évènement.

AlJarGabelalDar

Dans un autre registre encore, je vais vous parler pour finir d'une comédie jordanienne (ce qui est une première pour moi !). Al Jar Gabel al Dar, c'est son nom, relève plutôt de la shortcom d'une dizaine de minutes, et ses 11 épisodes étaient diffusés par Roya TV, qui propose des séries comme Zahri wa Azrag ("le rose et le bleu"), une version locale d'Un Gars, Une Fille.

Le titre de la série, qui pourrait se traduire par "les voisins avant la maison", renvoie au proverbe qui recommande, avant d'emménager dans une nouvelle maison, de prêter plutôt attention aux voisins, car la meilleure des maisons n'est rien avec des voisins pourris. Je paraphrase, hein. Al Jar Gabel al Dar est coécrite par un scénariste, Aseel Mansour, ainsi que les trois comédiens principaux de la série : Natheer Khawaldeh, Fares Hadadeen et Brett Weer. Hm, ce dernier nom ne sonne pas comme très jordanien ! En effet, Weer est un comédien américain qui s'est établi à Amman, et qui compte à son actif pas mal de stand-up sur le thème du fossé culturel (ses sketches sont apparemment l'équivalent jordanien de Lilyhammer !).
Et justement, c'est le principe d'Al Jar Gabel al Dar : parler de la différence entre deux cultures, en mettant côte-à-côte un Américain et ses voisins jordaniens, avec lesquels il se lie progressivement d'amitié en dépit des incompréhensions ou des différences fondamentales de mode de vie.

A ce stade vous l'avez peut-être deviné : la série Al Jar Gabel al Dar est entièrement bilingue : Weer s'exprime en anglais (il est sous-titré en arabe), et ses comparses parlent en anglais et en arabe (sniff, sans sous-titres anglais !). Ca donne une comédie très enlevée qui fonctionne plutôt bien, du moins pour ce que j'en comprends.

Vous pouvez donc donner sa chance à Al Jar Gabel al Dar, c'est même le but plus ou moins avoué de la série. Celle-ci possède en effet un titre en anglais (My American Neighbour, encore une victime de l'épidémie de titres anglophones n'ayant rien à voir avec le titre original), et toutes les videos sont en ligne le plus légalement du monde sur Youtube, comme par volonté de permettre aux Jordaniens et aux Américains de rire des mêmes choses. Un objectif carrément sympathique, à l'instar de la série.
J'ai choisi de vous proposer ci-dessous ce qui a l'air d'être le dernier épisode de la série (mais ils sont vraisemblablement regardables dans n'importe quel ordre), à la salle de sport.


Etant donné que beaucoup de choses sont accessibles dans cet épisode (bon, j'admets : pour peu de parler anglais), j'attends vos impressions dans les commentaires ci-dessous !

D'après Brett Weer, cette série bilingue est une première dans la région, et je le crois volontiers car ce n'est pas forcément la première chose qui me vient à l'esprit quand je pense à une série du Ramadan. C'est par contre tout-à-fait le genre d'initiatives qui pourraient sans trop de mal être diffusées sur une chaîne occidentale (chais pas moi, arte a pas un trou d'une dizaine de minutes quelque part dans sa grille ?).


...C'est tout pour cette année ! Si vous avez eu accès, pendant le mois saint, aux séries du Ramadan, je vous invite avec le plus grand des enthousiasmes à partager en commentaires vos découvertes préférées, vos visionnages les plus insolites, ou tout ce qui vous a marqué cette année.
Et à part ça, rendez-vous pour le R14, qui commencera cette fois aux alentours du 28 juin !

9 août 2013

Got a secret, can you keep it ?

Vingt ans après la mystérieuse disparition de Fuyuha Onodera, ses cinq amis, Keiko Inoue, Kouji Higashihagi, Takako Kawano, Miya Akiyoshi et Yutaka Sabashima, commencent à recevoir des messages signés Fuyuha...
Si ce pitch vous en évoque un autre, mais que dans votre esprit, les noms sont plutôt à consonnance anglophone et les personnages encore adolescents, alors vous êtes comme moi : vous trouvez que Gekiryuu présente de sérieuses ressemblances avec Pretty Little Liars.

Allez, les exécutifs de la NHK peuvent nous le dire, à nous ! Ce ne serait pas la première fois qu'une série américaine trouverait le moyen d'être revue et corrigée par une série japonaise, l'Archipel ayant développé un art de l'appropriation téléphagique qui nous offre régulièrement de bonnes surprises (...et parfois non. Bon, on peut pas réussir un tel pari à tous les coups).

Gekiryuu
Mais tant qu'on en est à parler d'influences, alors, après visionnage du pilote, j'aurais plutôt tendance à dire que Gekiryuu me rappelle beaucoup Dousoukai, diffusée il y a un peu plus de trois ans. Hm, d'ailleurs j'arrive même plus à me souvenir de comment ça finit, faudrait que je me la refasse à l'occasion cette série... Dousoukai, pour ceux qui ont la flemme de cliquer sur les tags au bas de ce post (honte ! honte à vous !), racontait comment, à la faveur d'une réunion d'anciens élèves, un groupe d'adultes se remettait à remuer le passé, tout en s'interrogeant sur la disparition de deux des leurs le soir-même de la réunion d'anciens. Non vraiment, plus j'y réfléchis, plus je suis à peu près sûre de ne pas avoir vu la fin. Et c'est effectivement ce parfum de nostalgie amère qui embaume tout le pilote de Gekiryuu, avec cette même façon que les souvenirs avaient dans Dousoukai de paraître si tendres, faisant souffrir le présent par comparaison, à plus forte raison parce que le présent n'est pas bien follichon. Ca se trouve il n'y a même jamais eu de sous-titres pour les derniers épisodes et c'est pour ça que je me suis arrêtée... La vraie différence, c'est que le passé de Gekiryuu, bien qu'évoquant une adolescence insouciante qui forcément provoque quelques regrets à des adultes élimés par la vie, est aussi chargé de tristesse. Laissez-moi vérifier ? Ah bah non, ils ont été sous-titrés. J'ai aucune excuse pour le coup. Justement à cause de la disparition de Fuyuha que j'évoquais plus haut.

Cette disparition n'a rien à envier à celle d'Alison : alors que les sept adolescents étaient en excursion scolaire, et visitaient les bâtiments historiques de Kyoto, tous reprennent le bus à la fin de la journée. Et, alors que le bus passe dans un tunnel sans marquer le moindre arrêt... Fuyuha disparaît. Comme ça. Impossible de la trouver. A l'arrêt suivant, ses amis descendent, se mettent à sa recherche, mais rien à faire. Et Fuyuha a disparu pour toujours à partir de cet étrange instant.
...OR HAS SHE ? Car comme vous le savez maintenant, 20 années plus tard, voilà que ses cinq anciens camarades, vivant tous désormais à Tokyo, reçoivent des emails apparemment signés par elle, contenant en tout et pour tout un unique message : "te souviens-tu de moi ?".

Attendez une minute... hein !? Vous avez bien lu "sept adolescents" et "cinq camarades" ! Je sens que je vous ai perdus, là. Laissez-moi donc recompter : la disparue Fuyuha, ça fait 1, ensuite avec Keiko, Kouji, Takako, Miya et Yutaka, ça fait 6... où est donc le 7e larron ?

C'est le premier truc qui m'a chiffonnée dans ce pilote de Gekiryuu : personne ne commence par se dire "hey mais, lors de cette sortie, nous étions quatre filles et trois garçons, si on soustrait la disparue, ça fait trois filles et trois garçons... pourquoi seulement cinq d'entre nous semblent avoir reçu ce courrier flippant ?". Non, au lieu de ça, lorsqu'ils vont reprendre contact les uns avec les autres pour évoquer les curieux emails qu'ils ont reçu, et tenter de donner du sens à tout cela, les 5 amis vont se réunir dans un bar et se demander qui pourrait bien les connaître au point d'avoir leurs adresses mails ET EN MEME TEMPS être au courant de l'affaire Fuyuha, qui s'est quand même déroulée il y a 20 ans et dans une autre ville. Ok les gens, je veux pas avoir l'air de la ramener pour faire ma maligne, mais quelqu'un qui aurait connaissance de la disparition de votre amie et qui y penserait encore 20 ans après... je miserais sur le seul à ne pas sembler avoir reçu de mail dans la bande, non ? Bah apparemment non.
L'épisode va nous montrer des souvenirs de la funeste journée en question, mettre en exergue le fait que les amis sont à nouveau réunis pour la première fois depuis 20 ans... et personne ne va penser à dire "rho merde les gars, pas cool, on aurait pu inviter Jimmy à venir prendre un verre avec nous".
On voudrait nous préparer une grosse révélation pour dans quelques épisodes qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

Mais admettons. Disons que le Jimmy (...à mon avis il s'appelle pas Jimmy, c'est même assez certain, mais je suis pas sûre d'avoir retenu son nom, si jamais il a été prononcé dans l'épisode) n'a rien à voir avec tout ça, et que mon instinct me trompe. Mon instinct n'est pas infaillible. Mon instinct m'a fait regarder Last Resort, après tout, donc bon. Reste quand même qu'évoquer ce personnage pendant la réunion informelle d'anciens n'aurait pas été du luxe, ne serait-ce qu'en passant. Là ça fait un peu : "mon Dieu, c'est un évènement tragique qui a marqué l'une des périodes charnières de ma vie... mais j'ai totalement oublié l'existence de l'une des personnes avec qui j'ai vécu ce drame". Hin hin, c'est cela. Nan mais vraiment, à d'autres.

Gekiryuu_Bar"C'est comme s'il manquait quelque chose, mais quoi ?!"

Gekiryuu va en outre, et c'est le deuxième gros inconvénient de ce pilote, se montrer épouvantablement bavard. Oui, plus bavard encore que moi dans mes posts à rallonge, c'est vous dire !
La scénariste Noriko Yoshida (dont c'est la première série que je regarde) va ainsi nous introduire dans le contexte de Gekiryuu non pas avec une voix-off d'exposition, mais avec deux puis trois voix-off ! Plusieurs personnages vont ainsi, tour à tour, raconter leur point de vue sur la découverte de ces emails, ainsi que sur l'étrange concours de circonstance qui fait que certains d'entre eux vont se croiser juste avant de les avoir reçus. C'est fait avec la finesse d'un pachyderme dans un magasin de porcelaine, d'autant que la première narratrice va s'exprimer si longtemps, qu'on va être pris par surprise quand le second va prendre le relai. Puis, pas de voix-off pendant plusieurs minutes... et là pouf, un troisième personnage prend la parole. Pourquoi ? Nul ne sait. Qu'est-ce qui justifie que ceux-là aient droit au chapitre et pas les deux autres ? Aucune idée. On comprend vaguement, par une allusion (une seule), que ça a un rapport avec la façon dont ils se racontent les choses au moment de se retrouver, afin de reconstituer les pièces du puzzle, mais narrativement, c'est très maladroit et mal présenté, en tous cas.
Par-dessus le marché, les passages dépourvus de voix-off sont constitués de très longues conversations (ou de flashbacks) qui rendent le tout épouvantablement longuet et même, par moment, rédhibitoire.
Le passage où les 5 amis vont prendre un verre dans un bar afin de parler des emails est certainement le plus affligeant de tous sur ce point. Avec un soucis supplémentaire, car on dirait que tous se connaissent depuis toujours alors que la plupart ne s'étaient plus parlé depuis vingt ans il y a encore quelques jours en arrière. En-dehors de quelques poncifs, on ne ressent pas du tout l'aspect retrouvailles qui faisait la force d'une des séquences-clés du pilote de Dousoukai, pour reprendre ma comparaison.

Alors, que réussit Gekiryuu dans ce contexte un peu pénible ?
Eh bien, tout l'aspect jouant sur le temps qui a passé et la vie qui leur est passée dessus. "Pour ceux que nous étions à 15 ans, le futur était une route éloignée et longue. Nous pouvons tout faire, nous pouvons devenir qui nous voulons, pensions-nous", sera une pensée évoquée par Keiko alors qu'elle repense à ce fameux dernier jour d'insouciance à Kyoto. Aujourd'hui les choses sont évidemment différentes.
Ainsi, Keiko, qui travaille pour une maison d'édition, est en plein divorce, avec un mari qui l'a trompée, a quitté le domicile voilà six mois, mais qui fait traîner la procédure et repousse sans cesse la médiation qui conduirait à officialiser la séparation. Pire encore, la carrière de Keiko, qui est présentée dans ce premier épisode comme la seule chose de positive dans la vie de Keiko (voire la seule chose tout court !) va prendre un sérieux coup dans l'aile au cours de la première heure de la série.
De son côté, Miya, qui avait arrêté l'école très tôt, est devenue une chanteuse plutôt populaire, avant d'être prise dans une descente aux Enfers qui s'est soldée par une arrestation pour possession de drogue. Désormais vivotant tant bien que mal de sa célébrité passée, elle semble pourtant n'avoir jamais vraiment achevé sa crise d'adolescence et est en perpétuelle rébellion contre tout. On apprend également à demi-mots qu'elle a coupé les ponts avec sa mère.
Kouji a quant à lui l'air de tout maîtriser dans la vie, en dépit de son attitude un peu trop polie voire docile. Enquêteur dans la police, il est essentiellement là pour orienter l'intrigue et fournir du concret quant à certaines (mais sûrement pas toutes !) interrogations de ses camarades sur les fameux emails. Il n'est pas très développé et on en apprend peu sur lui, ce qui laisse à penser que le scénario va essentiellement s'en servir pour faire avancer l'intrigue, mais que sur un plan dramatique il sera assez inutile. C'est pas grave, je le trouve assez irritant.
Yutaka, dit "Saba", est différent. On en sait relativement peu sur lui si ce n'est qu'il travaille dans le secteur bancaire ; il annonce en début d'épisode avoir divorcé et aller à Kobe rendre visite à son fils, et ce sera tout sur sa vie privée jusqu'à la scène de fin de l'épisode. Mais sa présence un peu autoritaire et charismatique, ses interventions intelligentes bien que plutôt rares, donnent l'impression d'un personnage qui complet qui n'a pour l'instant pas dévoilé toute sa richesse, mais avec un grand potentiel. En tous cas, le potentiel de la scène de fin de l'épisode est également parlant sur les désillusions que Saba peut connaître à l'âge adulte.
Mais le personnage le plus intéressant à mon goût est sans conteste la douce Takako. Bourgeoise aux manières impeccables et à la petite fille parfaite, inscrite dans l'école privée parfaite, Takako cache un secret qui en cache lui-même un autre : son mari est au chômage... et pas spécialement pressé, semble-t-il, de se sortir de cette situation. Alors comment Takako gère-t-elle les finances de son foyer...? Je sais pas si je dois vous le dire, mais ça fait son petit effet et c'est fascinant de voir comment Takako s'est adaptée à ce nouvel ingrédient de sa vie. Cela fait d'elle celle qui a sûrement le plus à perdre si jamais cette histoire d'emails dérangeants venait à tourner au vingaigre (et ce serait étonnant que ça ne tourne pas au vinaigre), et cela fait également d'elle le personnage le plus complexe de la série, même si, hasard ou coïncidence, c'est sûrement celui qui est le plus en retrait dans la dynamique de groupe.

Clairement, la majorité de ces personnages n'a pas la vie d'adulte dont tous devisaient avec optimisme 20 ans plus tôt. Et comme souvent dans la société japonaise, le premier réflexe des uns et des autres est évidemment de garder ces réalités pour soi, plutôt que les partager avec les autres, quand bien même ils seraient des amis d'enfance.
C'est là que Gekiryuu fonctionne bien. Et nul doute que, si l'auteur de ces emails morbides s'y prend bien, ces old little liars devraient craindre pour leur vie déjà pas marrante, et voir les choses progressivement empirer si jamais quelqu'un (mais qui donc mais qui donc ?) souhaitait les tenir pour responsables de la disparition de Fuyuha.

Gekiryuu_Fuyuha

Espérons donc que cette disparition se bornera dans les épisodes suivants à servir de prétexte à la scénariste pour torturer un peu les 5 amis. Je suis sadique, mais j'assume ! Et je suivrai leur calvaire avec d'autant plus de plaisir que pour le moment, personne ne semble se perdre dans des histoires d'amour bourrées de clichés, ce qui décuple l'intérêt de Gekiryuu à mes yeux. Ah, attendez, je viens de me rappeler d'un truc qui expliquerait pourquoi j'ai arrêté Dousoukai !

Qui sait, peut-être même qu'à un moment ils vont se souvenir de ce pauvre Jimmy... que je soupçonne quand même sérieusement d'être assis dans une cave sordide et mal éclairée à envoyer des emails signés Fuyuha. Mais ça se trouve, j'ai tort. Et il n'y a qu'une façon d'en avoir le coeur net !

2 août 2013

Sans appel

Chose promise, chose due, aujourd'hui je vous emmène en Australie. Enfin, plutôt à Singapour. Mais en passant par le Cambodge. Oh, et le Vietnam, j'avais oublié le Vietnam.
Cependant, je confesse bien volontiers ma malhonnêteté : aujourd'hui, en fait de voyages, je ne vais pas tellement vous faire rêver, puisque voici venue l'heure de ma critique de la première partie de la mini-série Better Man.

Nan parce que, pour le dépaysement coloré et l'illumination spirituelle, on repassera ! On n'est pas dans 30° i Februari, ici. Ou plutôt, vous vous rappelez de la scène à l'aéroport dans le pilote de 30° i Februari ? Eh bah la même, en pire. Comment ? Vous n'avez pas vu 30° i Februari ? Nan mais là, non, hein, franchement, je sais même pas pourquoi je me donne du mal. Bon, eh bien imaginez être dans un pays du Sud-Est asiatique où vous ne connaissez personne, et où vous êtes arrêté par la douane... Sauf qu'au lieu d'avoir par inadvertance fait quelque pas avec un testeur de produit cosmétique, là, vous avez 400g d'héroïne sur vous. Voooilà, je vois que vous y êtes.

C'est l'histoire de Van Nguyen, 22 ans, un Australien d'origine vietnamienne qui se retrouve empêtré dans une bien mauvaise affaire. Il a des dettes. Il a besoin d'argent. Il a un "ami" qui peut l'aider. Tout ce qu'il a à faire, c'est emmener une somme indécente d'argent à Phnom Penh, puis récupérer de l'héroïne et la ramener en Australie, via un vol avec escale à Singapour.
Le problème c'est qu'il y a deux problèmes : d'une part, Van est terrifié, ce qui est légitime mais pas en sa faveur, et d'autre part, il est hanté par ses origines.

Il est en effet né dans un camp de réfugiés vietnamiens, en Thaïlande. Sa mère, une Vietnamienne, s'installe ensuite en Australie avec lui et son frère Khoa, et même s'il n'y a pas d'argent, elle fait de son mieux. Et lors de son périple à Phnom Penh, il va soudain être pris par le besoin irrépressible d'aller faire un détour par le Vietnam pour retrouver la maison où sa mère a grandi à Ho Chi Min Ville, avant de devoir fuir le pays. Sauf qu'en faisant ce détour, il va se mettre en retard, ce qui dans la panique ne va pas l'aider à conserver ses moyens, et surtout, va le mettre en difficulté avec son "ami" qui ne va du coup plus du tout avoir envie de l'aider à accomplir sa mission. Seul, paniqué, trempé de sueur moitié à cause de la chaleur, moitié à cause de la terreur, Van va donc cumuler les erreurs lors du trajet de retour avec la drogue, et va donc finir par se faire attraper.

Oh, oui, juste une chose. J'oubliais un petit détail : l'histoire de Van Nguyen est vraie.

BetterMan

Better Man est donc un biopic, et si vous voulez vous spoiler méchamment, je vous recommande chaudement la lecture de la page Wikipedia du jeune homme, quelques lignes de lecture à peine devraient vous raconter la fin de l'histoire. L'affaire avait fait grand bruit en Australie, comme souvent lorsqu'un ressortissant d'un pays est emprisonné loin de chez lui ; d'ailleurs, la diffusion de la mini-série n'est pas pour plaire à tout le monde, la famille de Nguyen elle-même ayant une réaction épidermique à la série.

Le soucis de Better Man, c'est que l'ampleur des charges (et la peine encourue) rendaient l'affaire d'autant plus sensible, et ambivalente. On parle de plusieurs centaines de grammes d'héroïne pure ! Or Better Man a choisi d'être le plus partial possible, et part du principe que Van Nguyen n'est qu'une victime. Certes, il y a des circonstances atténuantes, mais dans la façon dont la série met en scène aussi bien les différentes circonstances qui conduisent Van à se faire coffrer par la douane singapourienne, tout est fait pour nous le faire prendre en pitié, et pas nous dire : "ouais, moi aussi j'ai un prêt COFIDIS, pour autant je vais pas trafiquer de l'héroïne dans un pays étranger, hein". D'ailleurs, pour que la famille de Nguyen ait un problème avec cette partialité, il faut vraiment qu'il y ait quelque chose qui cloche !

Le blâme n'en revient absolument pas Remy Hii, qui donne tout ce qu'il a dans le rôle central de Better Man (et je ne parle pas juste d'hectolitres de sueur). L'acteur fait avec le scénario qu'il a, c'est-à-dire quelque chose qui ressemble quand même vaguement à un torchon apologiste prêt à marteler par autant de moyens possibles que s'il a l'air triste, perdu, et qu'il a un sens de la famille surdéveloppé, on devrait pardonner au héros de n'avoir pas respecté la loi. Regardez-le, il a l'air d'un chiot ! Un chiot dégoulinant de transpiration... mais quand même ! On ne peut pas lui en vouloir ! Pourquoi les méchants Singapouriens ne veulent pas le relâcher ? Comme si leur législation était plus importante que le regard meurtri d'un jeune trafiquant de drogue ! Regardez-le comme il est misérable...

BetterMan-Van

Remy Hii se défonce, donc (si vous me passez l'expression), et franchement il a ses bons moments, mais l'écriture est pénible. Car outre le problème du message de fond, on a aussi un scénario qui fait un peu n'importe quoi sur un plan structurel.
Better Man était à l'origine supposé être une mini-série en 4 épisodes de 50 minutes chacun. Sauf que pour une raison qui m'a échappé, SBS a décidé de diffuser la série... en deux soirées. Sur le principe rien de condamnable (ça arrive à plein de séries très bien), sauf que cela rend encore plus évidents les problèmes : là où le premier épisode est plutôt linéaire et bourré de rebondissements, mais complètement désagréable car dépourvu de tout contexte (on va voir Van suivre chaque étaple du plan de son "ami" jusqu'à son arrestation à la douane), le deuxième épisode, à travers l'interrogatoire auquel Van est soumis, va au contraire n'être que contexte, et zéro action. Cet épisode va de surcroît accumuler les flashbacks désordonnés, un coup en avant, un coup en arrière, et c'est brouillon, même avec la date qui apparait au bas de l'écran ("2 mois plus tôt", "4 mois plus tôt", "14 ans plus tôt", "10 jours plus tôt", "2 mois plus tôt"...). Le résultat c'est qu'on est plongé directement dans l'action sans aucune explication pendant près d'une heure sur les motivations du héros, ce qui est problématique. L'autre résultat, c'est qu'on ne comprend pas certaines choses, mais que, là où l'absence de compréhension aurait pu ouvrir l'appétit du spectateur, désireux de connaître le background d'un personnage qui occupe 99,9% du temps d'antenne, on se retrouve au lieu de ça dans la situation où on voit un gamin s'agiter sans raison, suer à grosses gouttes, et enchaîner les mauvaises décisions sans la moindre explication de la part du scénario.
Qu'on soit obligé de croire sur parole une série qui veut nous dépeindre une victime des circonstances sans expliquer ces circonstances pendant la première heure (sur quatre !) relève quand même de l'arnaque.

Si ce n'était pour la performance de Remy Hii (encore qu'à un moment, il faudra quand même tenter de changer de registre), Better Man serait bien pénible à regarder. D'un autre côté, l'intrigue opère aussi progressivement un changement de direction qui laisse à penser que même Hii ne sauvera pas éternellement la série, puisque l'ampleur internationale que prend son affaire va progressivement nous conduire à regarder les choses sous un angle différent, plus légal, plus diplomatique aussi. On peut d'ailleurs le voir au nombre de personnages non-asiatiques qui s'invitent progressivement dans le deuxième épisode (enquêteurs, personnel d'ambassade... et prochainement avocats). Heureusement qu'il y a des Blancs pour venir à sa rescousse, quand même...

Sur le principe, je suis intéressée par tout ce qui peut me renseigner sur des affaires ayant fait l'actualité en Australie. C'est quand même l'un des avantages des voyages téléphagiques : on en apprend plus que pendant n'importe quel cours d'Histoire ou journal télévisé. Mais l'écriture piteuse, qui prend la défense sans prendre dans la foulée le moindre recul, et se contente de vouloir absolument nous attendrir (à retardement, je dirais... il est un peu tard pour alerter le grand public, l'affaire date de 2002), gâche absolument tout.

Sur un sujet similaire, je serais plus encline à tenter la mini-série japonaise Prisoner, diffusée par WOWOW (un argument supplémentaire !), plutôt que de devoir regarder les deux derniers épisodes de Better Man. Qui d'ailleurs ont été diffusés en une seule soirée hier. Par contre, si Remy Hii veut se retrouver dans une autre série intéressante (donc non, je n'inclus pas H2O), qu'il me fasse signe, j'y jetterai un oeil avec plaisir. Mais là... là non.

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