T'ar ta gueule à la récré
Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu quelque chose d'autant original, impertinent et futé que The Yard, la série canadienne qui a démarré il y a peu sur le réseau de HBO Canada.
Rares sont les séries à parler des pré-ados avec intelligence, de nos jours, sans leur infliger de se plonger dans un bain de couleurs flashys ou les gaver de rêves de gloire à la chaîne. The Yard est l'exception qui confirme la règle, pour la bonne raison qu'elle ne leur est pas adressée. Mais rien ne les empêche de se ruer dessus, naturellement.
Le pilote de The Yard se présente comme une série sur les gangs, à la notable différence que son contexte n'a rien à voir avec Emerald City, mais plutôt avec la cour de récré que nous avons tous plus ou moins connue. Les personnages s'y comportent à la fois comme des racailles et comme des enfants, mais sans jamais tomber dans la caricature ni de l'un ni de l'autre. Je vous rassure, on n'a pas ici de gamin qui vendent de la coke et se comportent comme les terreurs qu'on nous dépeint occasionnellement quand on veut qu'on ait peur de la nouvelle génération de gosses, mais des gosses qui, à leur niveau, tentent de garder le contrôle de leur univers à leur façon.
Ainsi, dans ce mockumentary (qui, pour une fois, ne m'a pas semblé indigeste), le héros est Nick, une jeune garçon qui gère la cour de recré comme un chef avisé, avec sa petite bande constituée de son meilleur ami Johnny, convaincu d'être magicien, ses frères JJ l'intello et Adam le gamin, et enfin Suzi, une fille qui estime qu'il n'existe aucun problème qu'on ne puisse résoudre par la violence. Il use de son influence pour veiller à ce que tout se passe bien, sachant que les besoins fondamentaux des élèves pendant la récré sont de pouvoir jouer et manger leur goûter.
Il y a bien-sûr une bande rivale, celle de Frankie et ses balourds de frères Porkchop et Micky. Par un accord plus ou moins tacite, Frankie et les siens dirigent la cafétaria, à l'intérieur de laquelle ils peuvent faire la loi ; mais la cour de recré appartient à Nick et sa bande. Sauf que bien-sûr, cela ne va pas sans quelques luttes de territoire et d'influence.
De prime abord, The Yard dresse donc des portraits attachants de gamins qui sont à la croisée de deux mondes, quand on n'a pas encore une vision totalement réaliste des choses mais qu'on n'est quand même pas tombé de la dernière plue. Quand les choses en apparence si anodines pour les adultes commencent à prendre de l'importance. Les dialogues sont à l'avenant : ils sont truffés de grossièretés mais en même temps témoignent d'un regard encore très enfantin sur les choses qui constituent l'univers des personnages.
Mais surtout, The Yard fonctionne comme une impeccable caricature du monde adulte (au corps défendant de ses héros). Ce premier épisode nous familiarise avec l'économie de la cour de recré, basée exclusivement sur l'échange de cartes à jouer. Mais cela prend des proportions épiques lorsque les explications de Nick et sa bande sur le fonctionnement de ce système commencent étrangement à rappeler le fonctionnement du capitalisme à part entière. Tout y est : comment le système s'est installé dans la cour de recré, comment il régule la micro-société (la fille populaire sort avec l'ex-nerd devenu richissime), et on a même droit à une savoureuse liste de tarifs pour divers objets de première nécessité. Mieux encore, nos protagonistes vont, sans le comprendre ni le nommer, recréer des effets de spéculation sur le marché de la carte à jouer, qui vont prendre un tour tragi-comique avant la fin de l'épisode, taclant au passage Hannah Montana.
C'est pas que je cherche absolument à vous vendre cette série. Mais je me sens obligée d'ajouter que la B.O. est impeccablement calibrée pour apporter un peu des deux univers (enfantin et adulte) à l'ambiance de la série, et visuellement, on est dans le même genre d'équilibre.
Mais surtout, le cast est très bon. La comédie, c'est vraiment un genre difficile pour des enfants qui ont soit du mal à conserver leur sérieux (d'un autre côté, même les adultes de That 70s Show n'y sont pas souvent parvenus...), et la dramédie plus encore. Mais ici, les acteurs sont hilarants sans rien en laisser paraitre, ce qui est parfait ; même les rôles les plus secondaires deviennent un régal dans les mains de ces petits bonhommes, comme celui d'Ashok.
Qui plus est, là où le mockumentary pourrait être lourd, il donne un éclairage équilibré et hilarant sur l'intrigue. Bien-sûr, il faudra voir comment ça fonctionnera avec le temps, car c'est forcément plus appréciable dans un épisode d'exposition, mais pour le moment le résultat est sans reproche.
Alors, bon. Je ne voudrais pas insister, je m'en voudrais de me montrer trop pressante. Mais c'est excellent. Vraiment, vraiment brillant. Et je dis pas ça souvent. Bon d'accord, je l'ai dit récemment pour Roseanne mais dans un tout autre registre. Non, attendez, je ne l'ai même pas dit comme ça pour Roseanne. Donc je persiste : The Yard est absolument brillant. Si vous voulez vous targuer d'être un peu téléphagiquement cultivé, il faut au moins avoir vu le pilote.
Et pour ceux qui manquent cruellement de culture : la fiche The Yard de SeriesLive.