Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
ladytelephagy
20 avril 2012

Fontaine de jouvence

Il est un fait que l'Australie nous a offert de sacrées bonnes surprises en ce début d'année : Outland (dont j'ai hélas toutes les peines du monde à trouver les derniers épisodes), Miss Fisher's Murder Mysteries, et Woodley. Et encore je vous ai pas encore parlé de Danger 5, j'attends d'avoir avancé (je n'ai eu le temps que de voir le premier épisodes), mais vous n'allez pas être déçus là non plus.  Ah ça, The Straits mis à part, l'Australie a bien commencé sa saison !
Mais ça, c'est la moyenne. Or si d'un point de vue général, l'impression est plutôt bonne, quand on se penche sur le cas de Woodley, je deviens purement et simplement extatique. C'est une véritable petite merveille dont j'ai, hélas trop brièvement, vanté les mérites dans le SeriesLive Show de ce soir, alors permettez que, au terme de son dernier épisode, je vous fasse un petit post de bilan pour vous encourager à découvrir cette série vraiment pas comme les autres.

FrankWoodley

J'avais vraiment envie de continuer mon post sur le même ton. Envie de vous dire comment, en l'espace d'à peine 8 épisodes, Woodley a su faire preuve de toutes les qualités nécessaires aux comédies immortelles : une énorme dose d'humour, des personnages attachants en diable, et de l'émotion comme dans vos rêves téléphagiques les plus fous.

Comment Woodley est un vibrant hommage au spectacle vivant à travers son interprète principal impressionnant et unique en son genre : Frank Woodley danse, saute, jongle, fait des pirouettes et des cascades ; il devient plus ou moins littéralement un clown, un acrobate, un équilibriste, un Pierrot de la lune est un homme élastique, un véritable athlète dans un corps comme désarticulé et pourtant incroyablement agile, fait de maladresses autant que d'adresse prodigieuse ; ce n'est pas un rôle que l'on attribue, c'est un rôle qu'on est, et que seul Frank Woodley pouvait être, c'est certain.

Comment les épisodes sont très différents, certains très mélancoliques, d'autres presque entièrement basés sur le slapstick.

Comment Woodley possède un art consommé de la narration, et est capable de raconter dans ses épisodes de véritables histoires en 24 minutes avec presque pas de dialogues mais sans jamais être superficielle.

Comment Woodley a aussi su mettre en place dés le pilote un cadre très clair au sein duquel la moindre situation ultérieure prend un tour plus touchant, sans qu'il ne s'agisse une mini-série à proprement parler : Woodley est conçue pour que les épisodes soient regardables indépendamment, tout simplement parce que la série est destinée à toute la famille.

Comment Woodley parle aussi bien aux petits, qui s'amuseront des singeries de son interprète (et de bon coeur, je le soupçonne), qu'aux adultes à travers des thèmes dans lesquels chacun se reconnaîtra, qu'il s'agisse de la peur de grandir, de perdre ce qui nous est cher, ou tout simplement l'impression que le monde est une taille trop grand pour nous.

Comment le charme magique de Woodley opère grâce à son esthétique rétro et sa musique inoubliable, rendant instantanément la série unique et pourtant intemporelle.

Comment Woodley est une série enchanteresse aux épisodes versatiles, enfin, qui donnent envie au spectateur même blasé de retomber en enfance pour avaler goulûment pitreries et idées fantasques dans des univers aussi fascinants que la mode, le cirque, ou même une maison-témoin, avec le même don pour les épisodes "à thème" que Pushing Daisies.

Mais même en prenant sur moi, j'ai du mal à chanter les louanges de Woodley là maintenant tout de suite. Pas alors que son ultime épisode m'a déchiré le coeur. C'est que, voyez-vous, Woodley est vraiment la comédie la plus douce-amère que je connaisse, et étant donné ses audiences, elle ne connaîtra probablement jamais de saison 2. Alors la voir finir comme ça ? Je suis trop triste.
Là, maintenant, tout de suite, j'ai envie de bouder un bon coup et d'aller pleurer en secouant très fort les épaules, le visage enfoui dans les bras de Fuzzby. Mais c'est normal, c'est parce que devant Woodley, je suis une petite fille.
Mais une petite fille qui va commander un DVD australien dans quelques semaines.

Publicité
19 avril 2012

Identité, s'il-vous-plaît

Il ne vous aura pas échappé qu'arte est en train de devenir LA chaîne des téléphages curieux. Ce qui la rend encore plus riche à mes yeux, c'est que même si les séries scandinaves sont en train de connaître un buzz certain (et la diffusion de Borgen l'a bien montré), et qu'elle en a bien profité ces derniers mois, la chaîne ne se contente pas de suivre la "mode" de la fiction scandinave. Elle continue de piocher des séries de qualité un peu partout dans le monde.
Outre la diffusion de la mini-série britannique The Promise, qui commence demain (et que je n'ai pas vue mais dont j'ai entendu grand bien... et grand mal, d'ailleurs, la série ayant été qualifiée de propagande anti-Israël dans plusieurs de mes lectures), arte s'est ainsi décidée à diffuser la première saison d'une série australienne, East West 101.

EastWest

"You're either an Arab or a cop".
C'est la problématique centrale que pose East West 101, alors que le pilote que vous allez découvrir dans un peu plus de deux heures (parce que vous allez me faire le plaisir de ne pas louper ça, hein, évidemment) va s'ouvrir sur un plan assez parlant d'un jeune garçon arabe écrivant consciencieusement le mot "identité" sur un cahier d'écolier.

La série repose énormément sur son personnage central, Zane Malik, un flic qui est entré dans la police pour toutes les raisons classiques que vous imaginez, à savoir un traumatisme et un désir de vengeance, et quelques unes que vous n'imaginiez pas : il pense mettre son double-héritage culturel au service de son métier. Le problème c'est que, derrière le colosse au regard sombre, se cache en réalité un idéaliste qui n'a pas compris que dans le monde actuel, à plus forte raison après le 11 Septembre (intéressant d'ailleurs d'aborder les problématiques typiquement post-11 Septembre dans une série qui n'est pas américaine), ce qu'il voit comme un avantage est perçu par nombre de ses contemporains, à commencer par son supérieur, comme un gros désavantage. Voire une menace.

Zane est capable de parler arabe et de s'attirer le témoignage ou l'aide de témoins et de familles ? D'accord, mais cela ne compense pas, jamais vraiment, la méfiance qui subsiste à son égard, comme s'il était un sous-flic simplement parce qu'il est arabe. Dans un pays multiculturel comme l'Australie dont, à l'instar des Etats-Unis, la genèse repose sur l'immigration, le propos est d'une cruelle lucidité sur l'ambiance de peur et de repli qui domine de nombreuses nations du monde.
A travers les personnages que rencontre Malik, c'est aussi un portrait en creux de l'Australie qui se dessine : ses lois sur l'immigration, mais aussi le quotidien des immigrés dans la société australienne. Le pays d'accueil vu par ceux qui tentent d'y trouver une place : c'est ce qui se dit en filigrane, et ça ne fera pas plaisir à entendre. Mais il faut l'entendre. Et le propos n'a rien d'exotique vu de chez nous : East West 101 pourrait aussi bien se passer dans un autre pays occidental tant ce qui y est décrit n'a rien d'original. Hélas.

Ainsi on verra (brièvement) dans le pilote de ce soir des scènes de violence qu'on a déjà vues cent fois dans les journaux et magazines d'information, qui vous évoqueront sans doute les émeutes de 2005 par exemple. Cette non-originalité, le fait de créer pour la fiction des images vues et revues dans les médias lorsqu'elles se sont véritablement produites, pourrait sembler être un défaut, mais est au contraire nécessaire pour les besoins de la démonstration. Après tout, la fiction est supposée aussi avoir le don de prendre du recul... et de nous en faire prendre par la même occasion. A mon avis, on a bien besoin de regarder une série comme celle-là quand les débats sur l'immigration ont été si récurrents dans les récents débats électoraux, notamment.

Et tant que j'en suis à parler réalisation, au niveau du rythme, autant Kommissarie Winter vous offrait jusqu'à la semaine dernière une pause contemplative et poétique du jeudi soir, autant là, attendez-vous à une réalisation plus nerveuse et quelques scènes stimulant votre adrénaline.
East West 101 nous parle de la réalité, un monde où on ne sait jamais trop comment une intervention va finir parce que les esprits sont aussi chaotiques que les situations... et cela se ressent à travers des séquences électriques et étouffantes. Entre Erik Winter et Zane Malik, il y a un monde, au propre comme au figuré.

Donc voilà : East West 101, ce soir sur arte. Ne loupez pas ça. On y parle énormément de nous tous.

EastWest101

18 avril 2012

Les familles sans histoire n'existent pas

Apparences-Title

Avant que le Black March ne vienne nous interrompre, j'avais eu l'occasion de vous dire tout le bien que je pensais d'Apparences (si vous pensez avoir loupé ça, direction les tags au bas de ce post pour réparer votre oubli). Avec la projection des premiers épisodes à Séries Mania, pas plus tard que demain, c'est l'opportunité de vous reparler de la série...

Mais comme maintenant j'ai fini de regarder l'intégralité de la série, je dois vous mettre en garde contre la présence plus que probable de spoilers dans le post ci-dessous. Si vous voulez éviter lesdits spoilers (ce que je conçois d'autant plus qu'on parle d'un thriller), alors regardez le joli logo ci-dessus à l'effigie de la série et courez à Séries Mania regarder les deux premiers épisodes, je peux pas vous dire mieux. Sinon ça se passe après cette photo.

Apparences-Manon

Alors voilà, on est partis.

Apparences commence donc alors que Manon Bérubé, soeur de la célèbre actrice Nathalie Bérubé, disparait mystérieusement la nuit de ses 40 ans. Sa jumelle Nathalie va donc tenter de découvrir la vérité avec obstination, tandis que le reste de la famille Bérubé essaye de faire face à la disparition brutale de cette femme si douce à qui personne ne pourrait vouloir du mal.
Outre les deux soeurs, les Bérubés comptent deux autres enfants : Benoît, sportif et entrepreneur d'un naturel relativement peu jovial voire même carrément psycho-rigide, et Gaétan, alcoolique qui n'a jamais réussi à faire quelque chose correct de sa vie. Tous ont un point de ralliement : la maison de leur mère Fernande, une veuve qui a tout de Mamie Nova.

Une grande partie des premiers épisodes consiste donc à montrer comment la tribu Bérubé accuse le choc.
L'idée est de montrer cette famille à la fois comme un noeud de personnes plutôt proches (en-dehors de Nathalie, ils habitent tous la même ville et se voient relativement fréquemment), que de montrer une famille où chacun a un petit quelque chose de pas franc qu'il dissimule aux autres. Ces épisodes vont donc nous rendre l'ambiance de cette famille très ambivalente ; ce qui est parfait parce que vu que l'enquête piétine un peu, rapport au fait que rien ne semble avoir du sens dans les premiers éléments qu'on a, le spectateur tourne naturellement ses soupçons vers les membres de la famille, bien aidé en cela par le mensonge de l'un ou l'interrogatoire soutenu de l'autre.
Plus encore, outre la question directe que pose la disparition de Manon, l'atmosphère familiale, construite par les comportements des uns et des autres, renvoie une impression d'étouffement qui ne date pas d'aujourd'hui, qui est inhérente au fonctionnement-même de la famille. Pour paraphraser Sartre : l'Enfer, c'est les Bérubé.

Le travail alors entrepris est énorme. Ce qu'Apparences va construire à ce moment-là, c'est une galerie de personnages incroyablement nuancés, complexes et captivants. Et c'est le plus impressionnant à propos de cette série : bien que basée sur le principe d'un thriller, elle est essentiellement dramatique. Je crois qu'aucune autre série n'a autant mérité le badge de "thriller psychologique" que celle-ci, en fait. De toute évidence, les personnages sont parfaitement maîtrisés, le moindre détail sur leur personnalité est là pour leur apporter de la profondeur, de la force, de l'impact. Et c'est primordial pour la résolution de cette histoire, d'être capables d'entrer dans leurs têtes ; le côté dramatique est fondateur de l'aspect thriller.
Mais, pris dans le jeu de la méfiance mutuelle entretenue par l'aspect thriller de la série, par les jeux de regards et par les silences lourds, le spectateur ne va se lier à aucun d'entre eux, restant sur le qui-vive, passant au contraire une bonne partie de son temps à essayer de deviner le degré de responsabilité de chacun. Le plus surprenant, c'est que l'attachement ne se profuit pas même avec Nathalie, dont on aurait pu croire qu'elle serait l'héroïne. Sa quête de vérité prend un tour obsessionnel, malsain, et la progression de l'enquête va à plusieurs reprises nous inciter à douter d'elle ou de sa santé mentale (j'ai même essayé de réfléchir à un moment si elle n'avait pas inventé Manon, quand même), comme on doutera d'à peu près tous les autres. Oui, même le gentil petit copain de Nathalie qui avait l'air tellement jeûnot et extérieur à tout ça, nos soupçons se porteront même sur lui... personne n'est à l'abri !

Comme j'ai pu l'expliquer il y a quelques semaines, Apparences nous fait même douter de la victime. C'est une bonne partie de sa mission après le pilote, en fait. A la lecture du journal que Manon écrivait en se mettant à la place de Nathalie, le profil psychologique qui s'établit progressivement a de quoi retourner l'estomac. Manon, que tout le monde croyait si parfaite, innocente et inoffensive, apparait soudain comme une perverse qui a réussi à cacher son jeu à tout le monde, y compris sa jumelle dont elle était pourtant si proche. Sans doute un peu trop.

C'est en fait là que se cache l'autre versant du brio d'Apparences : le talent pour les fausses pistes. La plupart des thrillers sont incapables de faire des fausses pistes efficaces, on a toujours l'impression de tout voir venir, bien-sûr, tel personnage a fait une petite grimace ou a planqué un indice, c'était certain qu'il serait responsable, mais on ne le saura qu'à la toute fin. Pas ici. Les fausses pistes, on ne les voit pas venir. Et même au bout de une, deux, trois fausses pistes, on n'est toujours pas capables de voir où la série veut en venir, c'est vraiment efficace. C'est un aspect vraiment propre au thriller et pour moi qui ne suis pas friande du genre, je me sens soudain réconciliée !
Et pourtant Apparences va continuer de tisser les liens entre le suspense et le drame en nous proposant, et vraiment je vais vraiment commencer à y aller fort sur les spoilers à partir de maintenant, de résoudre l'enquête à mi-parcours : non, Manon n'a pas disparu. Elle est morte.

Apparences-ClasseVide

On en est au cinquième épisode et soudain la donne change du tout au tout. Le doute subsistait jusque là : peut-être que Manon, malade comme elle est, s'est enfuie pour toujours (genre pour se réinventer une vie ailleurs), ou va réapparaitre (pour s'en prendre à sa soeur), ou pire ! Elle semble tellement imprévisible. Qui sait ce qui peut bien se passer dans sa tête ?! Eh bien là, la plus grosse surprise, c'est que depuis le début, elle était morte. Et le thriller s'efface alors temporairement au profit du drame alors qu'Apparences nous parle de deuil.

Mais loin de se contenter d'arpenter les clichés du deuil de façon scolaire et expéditive, la série va prendre le temps de vraiment nous faire vivre ce deuil presque comme s'il était le nôtre. En fait, c'est grâce à son incroyable faculté à nous faire entrer dans l'intimité de cette famille, qu'Apparences a réussi jusque là à nous intéresser à eux sans jamais nous y fier : même quand ils nous privent de l'accès direct à leurs secrets, leurs émotions et les raisons de leur méfiance, les Bérubé se livrent à nous. C'était visible avant, mais la période du deuil marque probablement l'apogée de cette caractéristique de la famille.
Cela passe par plein de petits détails. Des petites scènes, parfois silencieuses, parfois bavardes mais remplies de "small talk", truffent les deux épisodes consacrés à la mort de Manon. C'est bien simple, toute famille ayant connu un deuil reconnaîtra instantanément ce par quoi passent les Bérubé : l'hébétude générale, la façon dont il faut bien gérer les obsèques elles-mêmes, ou encore les réactions des gens de l'entourage. Tout y est.

C'est là que j'en arrive à ce qui a fait la force d'Apparences du point de vue dramatique. Et ce qui, en fait, m'a fait réaliser pourquoi les fictions françaises m'insupportent alors que les québécoises me charment tant, quand elles ont pourtant tellement en commun. Ce sont les dialogues. Les dialogues font tout. La façon dont ils sont écrits, et la façon dont ils sont dits. Je vous explique.
Dans Apparences, les dialogues ne sont pas écrits par un génie de la répartie fine. On n'est à aucun moment dans du dialogue écrit pour faire mouche, pour faire dans la réplique-culte, pour marquer les esprits. On ne trouvera probablement pas des masses de citations issues d'Apparences dans mon cahier vert. Ca ne servirait pas le propos. Dans Apparences, les dialogues sont écrits pour faire vrai. Cruellement vrai. Les gens s'expriment normalement, pas comme des personnages à la télévision qui ont un professionnel pour leur écrire leurs tirades ; j'aime énormément de séries dramatiques, mais dans la plupart, ça se sent que quelqu'un a réfléchi à ce que les personnages allaient dire au point de leur faire prononcer des phrases un peu trop ronflantes. Là, pour qu'un scénariste soit capable d'écrire un scénario où on ne sent pas qu'il y a un scénariste qui a décidé de la moindre virgule, il en faut, du talent, croyez-moi. Evidemment ça ne gâche rien que chacun des acteurs (même les enfants, ce qui mérite d'être signalé) ait toujours l'intonation parfaitement juste. Mais c'est forcément plus facile quand c'est écrit pour sonner vrai ! Et c'est ça qui fait toute la différence... C'est ça qui donne immédiatement le relief nécessaire aux Bérubé, qui leur donne cette faculté à partager l'intimité de leur vie familiale à la cuisine ou dans le salon ! C'est infiniment précieux pour une série qui travaille tant l'ambiguité de son intrigue à suspense, d'avoir en contrepartie ce livre ouvert sur l'intimité de cette famille. Et c'est ce qui fait que même en se méfiant tour à tour d'eux, même en prenant certains des membres de la famille en grippe, on s'attache quand même aux Bérubé. L'effet est brillant.

Apparences-Ecriture

Mais le deuil ne sera que de courte durée car le mystère de la disparition, devenue mort, de Manon, n'est pas résolu. Tout en nous emmenant sur une nouvelle piste (ah, Enfer et damnation, je me suis encore fait avoir !), Apparences va exploiter ce qui est certainement l'un des trésors de son intrigue : le journal de Manon.

Je l'ai dit plus haut, Manon tenait un journal intime écrit du point de vue de sa célèbre frangine. Au bout de plusieurs épisodes, alors que de nombreux chapitres nous ont été lus, et parfois relus, on a commencé à prendre cet écrit pour une parole d'évangile et, plus particulièrement (et bien qu'on se méfie encore un peu d'elle), on a commencé à en adopter la lecture qu'en fait Nathalie.
Ah, l'idée fabuleuse qu'est ce journal ! C'est lui le responsable de la plupart des fausses pistes de la série que j'évoquais plus haut. Tout simplement parce que comme tout ouvrage, il dépend de l'interprétation qu'on en fait, et que jusque là on n'en a eu que l'interprétation de Nathalie, aidée il est vrai de sa psy et de l'enquêteur. Mais c'est bien tout.

Après les funérailles de Manon, c'est au tour de Benoît de découvrir l'existence du fameux carnet dans lequel Manon écrivait à la troisième personne, et de livrer sa propre lecture de ce qu'y dit sa soeur, avec laquelle il a une relation moins fusionnelle que Nathalie. Comme je vous le disais, ce qu'a fait Apparences depuis le début, c'est construire des personnages complexes dont le but est de soutenir la conclusion de la série. On n'en est pas encore à la conclusion, seulement au 7e épisode, mais déjà le fait de connaître la personnalité profonde de Benoît va nous permettre de comprendre son point de vue sur ce qu'a écrit notre victime. Il est encore plus négatif dans son diagnostic, et ça n'a rien d'étonnant maintenant qu'on le connait si bien.
Les choses pourraient-elles n'être qu'une question de point de vue ?

On va en avoir la confirmation quand le huitième épisode va démarrer. Cette fois, ni point de vue des frères, des soeurs, de la mère ou des amis. Seulement, ou presque seulement, de Manon elle-même. C'est d'autant plus ambitieux qu'on a encore deux épisodes après celui-là et que si cela explique tout, alors que restera-t-il pour après ?
Mais non, valeureusement, Apparences va nous expliquer qu'en réalité Manon est très bien dans sa tête. Elle est juste telle que tout le monde l'a décrite : repliée sur elle-même, mal assurée, naïve. Et elle va se lancer dans ce qui semble la décision la plus folle et inconsidérée de toute sa vie : une liaison avec un homme marié. Juste parce qu'il l'a remarquée. Et tout ce que l'on sait de son fameux journal intime prend alors un tour totalement différent. Toute la grille de lecture vient d'en changer alors qu'on voit Manon refaire le chemin avec les mêmes mots, mais ses propres actions, et pas celles imaginées par son entourage à la lecture dudit carnet. Manon n'a jamais cherché à devenir sa soeur ; elle cherchait juste une façon de plaire à son amant et c'est celui-ci qui se réjouissait juste un peu trop de leur ressemblance.

L'emploi fait du journal intime prend un tour encore plus brillant quand par la suite, Gaétan va également le lire, et Fernande refuser d'y jeter un oeil. Plus que jamais, le titre d'Apparences prend du sens (ce qui fait qu'en réalité c'est vraiment un titre "poupées gigognes" !) : c'est vraiment, à tous les égards, une question d'apparences. La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde, mais la laideur aussi. C'est juste une affaire de point de vue. La façon dont chacun voyait sa soeur, puis a pensé découvrir sa "vraie" personnalité, est la clé de ce thriller. Lorsque les frères et soeur comprennent cela, et comparent leur lecture du carnet, la clé de l'énigme n'est plus très loin.

Une parenthèse sur ce fameux journal intime.
Le site internet de Radio-Canada nous permet d'en consulter un fac-similé très impresionnant. En matière d'interactivité (non ce n'est pas un gros mot), les Canadiens nous battent à plate-couture, il faut bien le dire, et ça n'a rien de nouveau. Les prix remportés par plusieurs séries, notamment anglophones, dans ce domaine, sont assez parlants, comme le sont les très, très nombreuses initiatives de webséries québécoises. Mais même pour une série "classique", le site d'Apparences fait vraiment un très gros travail, et ce carnet en est la preuve, remplaçant avantageusement un guide d'épisodes classiques. L'arbre généalogique, bien qu'en définitive très simple, fait également partie des atouts précieux du site. Je vous conseille de cliquer ci-dessous pour aller consulter le journal intime de Manon sur le site de Radio-Canada, une fois que vous aurez vu la série : c'est vraiment un fantastique complément.

Apparences-Cahier

Alors, évidemment, le suspense est moins dense une fois que le huitième épisode est achevé, et qu'on a vécu plus d'une année avec Manon pour voir comment elle en est arrivée là. Ce n'est pas très grave parce que, rappelez-vous, le thriller n'est pas le seul atout dans la manche d'Apparences : le côté dramatique est, depuis le tout début de la série, très prononcé. C'est lui qui a permis de résoudre le mystère et c'est lui qui sous-tend tout, depuis le début. On peut se passer du suspense quand le drame lui-même est si prenant.
Une fois qu'on connait l'histoire complète de Manon, et même, une fois qu'on sait qui était son amant secret, l'histoire ne s'achève pas pour si peu, donc : Nathalie et le reste de la famille Bérubé sont encore dans l'ignorance. Le spectateur est en possession d'informations qui échappent à tous les personnages encore en vie.

Et d'autre part, on sent que l'étau se resserre autour dudit amant : il est seulement indirectement responsable de ce qui est arrivé, évidemment, puisque la mort de Manon est et reste un suicide et non un meurtre, mais on veut qu'il porte sa part du poids à porter, et on veut aussi que la famille se libère de cette énigme pour avancer. La question de la responsabilité a toujours tenu une grande part dans Apparences : ceux qui se sentaient responsables, ceux qui espéraient secrètement que ce ne soit pas un suicide pour ne pas avoir à se poser la question de la responsabilité, etc... les Bérubé s'étaient tous heurtés à la problématique. A qui la faute ? Eh bien nous, nous le savons, et il faut admettre qu'on veut que le "coupable" porte sa part afin de soulager la souffrance des "innocents". C'est là l'enjeu des deux derniers épisodes, forts en émotion à défaut de l'être en suspense.

Apparences-Famille

Il y aurait encore beaucoup, beaucoup à dire d'Apparences. J'ai eu la sensation, lorsque j'ai rattrapé mes épisodes du mois de mars, d'avoir une quinzaine d'épiphanies à chaque épisode, et pour être honnête même en ayant mis ce post en chantier voilà plus d'une semaine, je vois bien que je laisse plein de choses de côté, comme l'incroyable réalisation, par exemple. On ne peut jamais tout dire d'une série mais c'est encore plus vrai pour celle-ci qui m'a fascinée et épatée à chaque instant ou presque.
Et pour moi qui ne suis pas, mais alors pas du tout, friande de suspense, Apparences a su trouver le ton juste, le compromis parfait pour ne jamais me permettre ni d'en prédire les retournements de situation, ni d'avoir l'impression qu'on cherche à bâtir du suspense sur du vide, comme tant de thrillers le font. Apparences est, c'est sûr, un thriller, cela se sent dans sa construction et notamment son don incroyable pour les mini-cliffhangers, mais c'est aussi un drama qui donne toute sa matière à l'intrigue principale sans jamais brader ses personnages. Tout cela avec une impression de spontanéité et de réalisme sur la sphère familiale qui fait frémir de bonheur.

Alors que vous dire de plus ? Regardez Apparences, voilà tout.
Ce qui me ramène à ce que je disais : souffrez que je me répète et que je rappelle que les deux premiers épisodes d'Apparences seront projetés demain à 18h00 à l'occasion de Séries Mania, en présence de Serge Boucher, créateur et scénariste, et d'André Dupuy, producteur de la série. Qu'on se le dise ! Si vous pouvez vous rendre sur Paris, n'hésitez pas... ça vaut plus que le coup.

17 avril 2012

Actually yes, I do care

NYC-22

La différence, c'est le ressenti.

Et pourtant on pourrait imaginer que ce ne soit pas nouveau. Intellectuellement, je suppose que je le sais, mais les idées préconçues ont la vie dure.

Les séries policières comptent probablement parmi celles à propos desquelles j'ai le plus de préjugés négatifs, et je pars souvent du principe qu'elles ne peuvent plus me surprendre ni même m'émouvoir. Parce que j'ai l'impression de connaître le sujet du bout des doigts et plus encore. Parce que j'ai la sensation qu'il n'y a rien à dire sur le métier, la fonction, le quotidien, que je n'aie lu, vu, entendu cent fois. Je suis fille de flic, à plus forte raison d'un flic qui avait besoin de me mettre le nez dedans alors que je n'avais pas 10 ans, et qu'il s'agisse de fiction ou de réalité, j'ai souvent le sentiment de connaître ce métier aussi bien que si je le pratiquais. C'est erronné évidemment, mais c'est comme ça que je le vis. Et du coup tout semble être une redite.
Il y a eu des périodes de réconciliation avec le monde policier ; essentiellement pour les séries en uniformes (pas les enquêtes qui ont fait les gros succès de la télévision américaine, donc), et à doses homéopathiques. Brooklyn South, une saison, parfait. Southland, abandonnée au bout de deux saisons ; j'aime toujours la série, mais de loin. En règle général ça reste quand même un domaine avec lequel je prends vite mes distances même quand la qualité est là.
Je me rappelle encore de la première fois que j'ai découvert Rookie Blue. C'était comme relire quelque chose que j'aurais appris par coeur ; les scènes se déroulaient et en dépit du fait que c'était la première fois que je les voyais, elles ne comportaient rien d'inédit. C'était le niveau zéro de la découverte : quand on regarde un pilote pour le regarder, mais alors que l'effet de déjà vu est plus fort que tout.

C'est avec l'intuition qu'il allait se passer quelque chose de similaire que j'ai démarré NYC 22. Sur l'air de "ok, je regarde parce qu'au moins ce ne seront pas des enquêtes, mais dans une heure c'est fini et on n'en reparlera plus jamais".

Et je devrais le savoir. Je le devrais mais les préjugés me font oublier. La différence, c'est le ressenti. Entre NYC 22 et Rookie Blue, la différence c'est que même avec une structure similaire (des jeunes flics qui font leurs premiers pas), j'ai ressenti quelque chose. Parce que les personnages m'ont un peu plus interpelée, peut-être. Parce que les dialogues étaient moins cosmétiques, possible. Ou bien parce qu'il y avait quelque chose d'autre, c'est difficile à dire à ce stade. Mais j'ai ressenti un vrai enthousiasme devant NYC 22 parce que la différence entre une bonne et une mauvaise série, ce n'est pas le pitch original, c'est le traitement. C'est du traitement que dépendra toujours le ressenti et c'est du ressenti que dépend la téléphagie. Et on pourrait se dire que depuis le temps je le sais, c'est tellement évident, comment l'oublier ? Mais ça reste une redécouverte à intervalles réguliers.

Peut-être que ce qui m'a plu dans NYC 22 ce n'est pas simplement les histoires de police en uniformes. C'est que j'avais l'impression d'apprendre rapidement à connaître les hommes et femmes derrière ces uniformes. Ca fait également une énorme différence ; peut-être que les personnages de Rookie Blue ne seront jamais que cela, des personnages, issus de l'esprit d'un scénariste, paramétrés pour offrir telle possibilité narrative ou telle autre, et qu'en fait j'ai vu les protagonistes de NYC 22 comme des humains, tout simplement. Ils arrivaient à m'être proches, en l'espace de ce premier épisode ; je crois que la proximité est précisément ce que je recherche dans une série policière en uniformes, en fait.

Les flics de NYC 22 arrivent avec un background imposant. En fait c'est ce qui les caractérise : ils sont essentiellement là pour nous parler de leur passé et pas des masses de leurs attributions. Le pilote fait énormément de cas de la raison pour laquelle ils sont là, aujourd'hui, chacun.
Probablement que NYC 22 est, à sa façon, capable de tirer partie de l'essence de ce qui fait la légende de la police new-yorkaise : un immense patchwork d'hommes et de femmes aux parcours divers qui viennent trouver une existence "normée" sous l'uniforme. On ne le ressent pas avec la police de la plupart des autres villes ; ce n'est pas ce qu'on ressent quand on regarde Southland ou Boomtown, ce n'est pas ce qu'on ressent quand on regarde NYPD Blue ou Les Experts Manhattan. C'est unique aux flics en uniformes de New York, et à cette catégorie bien précise seulement. Chacun arrive avec son accent et son passé, un peu comme on arrive à New York, et l'uniforme est l'équivalent moderne d'Ellis Island. C'est comme ça que je le vois. Ca leur est unique, aux flics de New York. Et NYC 22 m'a ramené dans cet univers bien particulier qui m'avait plu avec Brooklyn South et New York 911, a ravivé cette impression que je pensais éteinte.
Mais NYC 22 n'est pas une redite de ces séries. Elle n'appartient pas à une époque révolue. Elle est incroyablement moderne dans sa façon de nous parler des parcours de ses personnages, à l'instar de Lazarus et de sa trajectoire, qui nous parle, encore une fois, de crise, ou Ahmad, qui est un personnage qui n'aurait pu exister que dans une série post-11 Septembre. Et chacun débarque avec son expérience de la vie, mais aussi une expérience professionnelle antérieure, bien souvent. Les "rookies" ne sont pas des bleus, en réalité. Ils débarquent de l'école de police mais ils ne sont pas de grands naïfs qui découvrent le monde. C'est ce traitement qui est émouvant, et ce traitement qui fait la différence entre une série policière d'une banalité affligeante, et une série policière telle que NYC 22. Qui n'invente rien. Mais qui a décidé que ce qu'elle ferait, elle le ferait bien. Pari tenu, en ce qui me concerne.

A l'issue du pilote, j'avais deux envies : envisager de reprendre Southland... et poursuivre NYC 22.
Oh mon Dieu, j'ai vraiment envie de poulet sur mon écran. Je crois que ça fait bien une douzaine d'années que ça ne m'était pas arrivé.

16 avril 2012

Keep Portland weird

Les rattrapages post-Black March continuent et je commence à être à jour, lentement mais sûrement, sur un nombre grandissant de séries. C'est bien ma faute, je n'ai qu'à pas en regarder autant.
Hier, j'ai achevé le rattrapage sur la deuxième saison de Portlandia, dont il est vrai, je ne parle pas souvent ici, mais que j'adore presque toujours autant suivre que l'an dernier. Alors, à l'issue du season finale, je me suis dit que j'allais en profiter pour rappeler cette série à votre bon souvenir avec un petit bilan de saison. Hélas, il ne sera pas forcément aussi extatique que je l'aurais voulu.

Portlandia

Lors de sa saison inaugurale, Portlandia ne comptait que 6 épisodes. Pour une série essentiellement basée sur des sketches, ça ne heurtait pas outre mesure ; par contre c'est vrai que je m'étais tellement amusée que je trouvais que ça faisait peu. La deuxième saison de Portlandia était portée cette fois à 10 épisodes, et si au départ je pensais que c'était là une excellente nouvelle, je suis obligée de reconnaître que c'étaient peut-être quelques épisodes de trop, en fin de compte. Les bonnes idées semblent fuser un peu moins souvent que l'an passé, mais surtout, on a une grosse impression de recyclage.
D'accord, le concept-même de recyclage s'accorde plutôt bien avec la population de hipsters de Portland telle que décrite dans la série, mais ça reste en général un défaut quand il s'agit de comédie.

Il était naturel de faire revenir certains personnages de la première saison, hautement populaires et croustillants : les féministes de la librairie Women & Women First, Candace et Toni ; Peter et Nance, bien plus présents que dans la première saison ; Jason et Ronnie, les Californiens qui découvrent le charme de Portland ; une brève apparition de Lance et Nina (le couple "cacao") ; Spike le cycliste, dont on apprend cette saison qu'il a une petite amie du nom d'Iris ; et naturellement, Fred et Carrie, les avatars des comédiens qui sont devenus dans la série les conseillers les plus proches de Monsieur le Maire, j'ai nommé le grand, le magistral, le magnifique Kyle MacLachlan.
La récurrence de tout ce petit monde est compensée par la présence de personnages qui ne sont pas issus de la première saison, et qui permettent de ne pas avoir l'impression de tourner en rond ; le vrai bémol étant qu'aucun nouveau couple de personnages n'est installé pour durer : souvent anonymes, ils n'ont pas pour vocation de faire partie du "canon". La saison 2 n'apporte pas grand'chose de ce côté-là, et cela participe à l'impression de recyclage : on n'y bâtit pas pour l'avenir.

Les guests sont nombreux cette saison, bien plus que l'an passé, et on ne peut plus regarder une scène sans y reconnaître un visage connu ; j'exagère, mais à peine. Outre Kyle, dont le maire excentrique est devenu un personnage récurrent de la série plus qu'un guest à vrai dire (à quand une petite invitation sur le plateau de SNL, d'ailleurs ?!), on trouvera aussi Jeff Goldblum, Tim Robbins, Mary Lynn Rajskub, Ed Begley Jr., Amber Tamblyn, James Callis, Edward James Olmos, Ronald D. Moore, Jack McBrayer, Sean Hayes, entre autres, ainsi que comme pour la saison précédente, des copains de Saturday Night Live comme Kristen Wiig et Andy Samberg. J'en oublie forcément. Il y a aussi tout un tas de musiciens que je ne (re)connais pas, mais que la série s'enorgueuillit d'accueillir, fidèle à ses influences.
Pourtant, contrairement à la plupart des séries, le nombre et la variété des guests joue pour Portlandia et non contre elle ; c'est un fait rare qu'on aimerait pouvoir appliquer à d'autres aimants-à-guests. Cela fait partie de l'identité de la série, en fait. Les apparitions varient en brièveté, en intérêt et en qualité, mais participent à constituer un univers à la fois foisonnant et décalé, qui fonctionne bien. On peut regretter que Kristen Wiig semble mal employée ou que Sean Hayes soit méconnaissable sous sa perruque, mais les séquences qui les accueillent sont toujours écrites de façon à ne pas alourdir les sketches par leur présence. Il n'y a aucune gratuité.

Alors, où est le problème ? En fait, les choses deviennent véritablement pénibles quand on voit le recyclage auquel Armisen et Brownstein s'adonnent en termes d'écriture pour eux-mêmes.

Portlandia a fait un méchant home run sur sa première saison, et la suivante capitalise à fond dessus : au lieu de la prolonger totalement, la deuxième saison veut nous rappeler à quel point la première saison de Portlandia était cool et marrante et originale. Et du coup, cette nouvelle saison est un peu moins cool et marrante, et surtout, beaucoup moins originale.

Déjà, le diable se loge dans les détails. Retrouver les visages qui auraient dû être anonymes et qui étaient apparus une fois, pas plus, dans la première saison, à maintenant tous les coins de rue, est destabilisant. Dans la première saison, ce qui faisait entre autres le charme de Portlandia, c'était que ses personnages finissaient plus ou moins par se croiser ou être liés, mais impérativement de façon involontaire et/ou subtile ; plus en raison de l'ironie des choses ou de la taille humaine de la ville qu'autre chose, et surtout pas parce qu'une sorte de cast secondaire tentait de s'imposer au fil des épisodes. Ici, il n'y a aucune forme d'explication quant au retour de certains comédiens dont on a pu mémoriser les visages, et plus problématique encore, ils n'incarnent pas le même personnage. Ce n'est donc pas que la boucle est bouclée, et que l'univers de la série reste cohérent ou acquiert de nouvelles dimensions ; c'est juste une façon de maintenir les mêmes visages et, en tous cas à mon avis, d'évoquer la première saison indirectement. On a plus l'impression que leur présence relève de la private joke ou l'Easter egg, or Portlandia n'a quand même pas atteint un statut de culte à ce point-là dans sa courte existence. Dana la serveuse du pilote, par exemple, va faire deux apparitions où elle ne sera plus du tout la même personne. Qu'est-ce qui justifie cela ? Rien. Et ça n'apporte rien non plus. En fait, ce phénomène se répète si souvent que c'en devient vite agaçant.
Mais, évidemment, il y a le problème des recyclages de gags ; et il est beaucoup plus grave parce qu'on dépasse le cadre de l'auto-référence. Il y en a pour ainsi dire un par épisode, minimum, mais toujours de façon pervertie. L'épique chanson qui avait ouvert la série, Dream of the 90s, est parodiée en milieu de saison, sauf que c'est lourd, pas franchement drôle, un peu longuet, et qu'en plus le côté délicieusement addictif de la chanson d'origine est perdu dans la manoeuvre (un comble quand on connait l'excellente oreille du tandem). Autre exemple : l'excellent sketch de la première saison dans lequel les personnages se disputaient pour savoir qui avait lu le plus de magazines, est repris pour cette fois les voir se quereller pour savoir qui connait le plus de monde en ville, mais là encore, c'est en perdant l'énergie de départ, et avec une conclusion miteuse loin d'avoir l'effet de la première fois. Et ainsi de suite.
L'omniprésence de Peter et Nance (pourtant pas vraiment les personnages les plus prometteurs sur le plan de la comédie, bien que probablement les plus emblématiques du "message" de la série) n'aide pas vraiment à se débarrasser de cette impression de répétition, non plus.

Pour autant que je puisse être critique et, osons le dire, un peu déçue par cette nouvelle saison très inégale à mes yeux, vous l'aurez compris, Portlandia reste tout de même une excellente comédie qui ne ressemble à aucune autre à l'antenne actuellement. Il y a de très, très bons sketches cette saison, à n'en pas douter, tirant partie aussi bien du potentiel de la vie à Portland telle que les comédiens/auteurs la voient, que des personnages existants, ou encore des excentricités qui leur sont permises par un budget visiblement moins serré que l'an passé. En voici quelques unes :

Around the world in 80 plates She's making jewelry now Going greener Zero-packaging grocery store Allergy Pride Parade

Et puis, Portlandia est, et reste, une incroyable critique de son public-cible, toujours aussi brillante quand elle sort réellement les griffes, mais sans jamais le faire méchamment. Il y a derrière la critique toujours une certaine dose de tendresse qui permet d'écorcher certains stéréotypes sans rendre la série antipathique. De ce côté-là, l'équilibre est toujours impeccable. Alors que la série avait fait son succès grâce à son public de hipsters on aurait pu craindre qu'elle essayerait de l'épargner, mais pas du tout.

Cette saison gère également très bien le mélange de sketches et l'aspect semi-feuilletonnant (uniquement à l'intérieur d'un même épisode, jamais au-delà), offrant des moments cultissimes, et visiblement voulu tels, comme peut l'être l'épisode dédié à Battlestar Galactica où l'intrigue principale est hilarante.
Il me faut aussi mentionner le fameux season finale, totalement à part. Pour une série qui fonctionne essentiellement, comme je l'ai dit, sur le principe d'une comédie à sketches, réaliser cet épisode avec une intrigue d'un seul tenant était un véritable défi, relevé avec un enthousiasme visible et plein de bonnes idées. L'épisode est aussi l'occasion d'amener plusieurs personnages marquants à se croiser de plus ou moins près (Fred et Carrie, Peter et Nance, Candace et Toni), rappelant que Portlandia peut aussi s'auto-référencer sans se recycler : c'est une question de nuance. L'expérience est totalement concluante, mais doit conserver son caractère exceptionnel pour bien fonctionner.

Alors au final, cette deuxième saison n'est pas parfaite, il y a des erreurs qui sont commises essentiellement parce qu'on a sans doute trop loué les qualités de la première, mais ça reste quand même un must-see du début d'année. Et d'ailleurs, IFC ne s'y est pas trompée, et a déjà commandé une troisième saison pour janvier prochain, cette fois avec 12 épisodes au menu, ce qui est un peu à double-tranchant. Pour Portlandia, il faut espérer que ce sera la saison de la maturité... ou bien la dernière.

Publicité
15 avril 2012

Fées du Logie

Il est un peu plus de minuit trente à Melbourne et le gratin de la télévision australienne est probablement en train de se mettre minable au champagne à l'heure qu'il est. Le moment est donc venu de revenir sur les résultat de la 54e cérémonie des Logies, les récompenses de la télévision australienne qui se sont tenues ce soir (heure locale, ça va de soi).
Les Logies ont la particularité d'être remises sur la base des votes des lecteurs de TV Week, un procédé qui permet de récompenser les programmes essentiellement sur la base de leur popularité, a contrario des AFI Awards qui dépendent d'un vote professionnel. L'occasion est donc rêvée de voir ce qui plait vraiment aux Australiens.
Outre les prix dont je fais volontairement abstraction, tels que les émissions sportives, musicales ou informatives, voici donc les récompenses remises aux acteurs de fictions et à ces fictions elles-mêmes, dont vous avez pu entendre parler dans ces colonnes. Du coup, quand une série ne vous parle pas, n'hésitez pas à aller glisser un oeil dans les tags au bas de ce post. Prêts ? Allez, on y va.

LogieAwards

Asher Keddie a remporté le TV Week Silver Logie de l'actrice la plus populaire ; il faut dire qu'en étant nommée pour deux personnages (dans Offspring et dans Paper Giants), elle partait grande favorite. Elle bat ainsi, entre autres, Jessica Marais, mais celle-ci pourra tenter de se rattraper avec un Emmy puisqu'elle est maintenant au générique de Magic City. Pour l'équivalent masculin, c'est Hugh Sheridan qui a décroché la statuette, pour son rôle dans Packed to the Rafters.

Du côté des révélations (alias Most popular new talent), c'est Steve Peacocke, un acteur arrivé l'an dernier dans le soap Home and Away qui a décroché le titre masculin. Plus intéressant, le versant féminin a été remis à Melissa Bergland pour son rôle dans la dramédie Winners & Losers (dont on attend d'ailleurs la date de retour).

On monte d'un cran avec le TV Week Silver Logie du meilleur acteur. Alors là, il y avait du lourd : Alex Dimitriades, de The Slap, était en lice face à Don Hany pour East West 101 ou Geoff Morrell de Cloudstreet, mais c'est finalement Rob Carlton qui a remporté la récompense pour son interprétation dans Paper Giants ; oh oui, il va beaucoup manquer à Howzat!. La récompense de la meilleure actrice était aussi l'occasion d'un choc des titans : Asher Keddie, encore (pour Paper Giants), mais aussi Kat Stewart pour Offspring ou encore Essie Davis pour The Slap. C'est effectivement une actrice de The Slap qui l'a emporté, mais sans nul doute encore plus méritante que la belle Essie : Melissa George a reçu la statuette ; les dernières fois que ç'avait été le cas, c'était pour son rôle dans Home and Away dans les années 90...

Home and Away Offspring Packed to the Rafters Underbelly: Razor Winners & Losers

Last but not least, le prix du drama le plus populaire se jouait entre 5 séries : Home and Away, Offspring, Packed to the Rafters, Underbelly: Razor, et Winners and Losers. C'était un tout petit peu prévisible, mais le trophée a été décerné à Packed to the Rafters, certainement l'un des plus grands succès publics de la télévision australienne actuellement.

Et même si je parle rarement de programmes pour la jeunesse, laissez-moi souligner que la deuxième saison de la série My Place a reçu un prix également, l'emportant notamment face à Lockie Leonard.
Parmi les grands moments de la soirée, on notera qu'une promo du film dérivé de Kath & Kim a été diffusée en présence des deux interprètes qui sont venues présenter une catégorie sur scène ; pour le moment ça ne confirme ni n'infirme la rumeur qu'on évoquait précédemment, mais ce n'est peut-être pas idiot de le garder dans un coin de tête.

15 avril 2012

Parfois on préfèrerait ne pas savoir

Ah, internet ! Monde fabuleux où se croisent les esprits les plus tordus et les goûts les plus uniques ! Et quelle meilleure preuve à fournir des richesses d'internet que d'aller fouiner dans les mots-clés menant à celui-ci ?
Il est vrai que je ne pense jamais à faire de post Tell Me You Google Me, essentiellement parce qu'il y a des tas d'autres choses sur lesquelles écrire la plupart du temps. Et pourtant, chaque fois que je vois des mots-clés amusants, je sauvegarde tout ça "pour plus tard", alors imaginez un peu : ma collection de perles est plus que volumineuse !

Je vais donc m'efforcer de vous en proposer une sélection en triant les requêtes par catégories, et vous allez le voir, en comparaison avec la plupart de mes visiteurs accidentels, vous n'avez aucun problème psychologique...

- Les pervers
TEEN D'ANTAN JOLIES NUES CANALBLOG
Et pis ça a l'air urgent, sans vouloir vous commander.
scandale à l'amirauté scène strip-tease
Ce qui me fait penser : personne n'a eu l'idée d'en faire un remake, de celle-là ?
petits pois et connotation sexuelle
C'est Maître Eolas qui serait intéressé.
serie comme shimokita glory days
Je crois que la requête parle d'elle-même, mais en cas de doute, suivez les tags au bas de ce post.
ned bigby porn
Otez-moi un doute... Ned Bigby, sans aucun doute possible, est un personnage adolescent d'une série pour la jeunesse ? Ya aucun moyen pour que je confonde avec quelqu'un d'autre, on est d'accord ? Juste pour savoir si je vomis tout de suite ou pas.
actrices japonaises nues
Je suis pas experte (déjà habillées, elles ne m'attirent pas plus que ça), mais j'ai comme l'intuition qu'il n'y a rien à grailler dessus.
american horror story latex ou trouver
Ah ok, d'accord, merci, en plus des zombies et des vampires, maintenant je vais avoir du nouveau matériel pour mes cauchemars.
douche garcon ado nu en public
D'accord, c'est écoeurant de faire une telle recherche. Mais voyez par vous-mêmes, la personne a été bien punie.
alice garvey l'incendie
Parce que la perversion n'est forcément sexuelle...
les séquences sexy de ma famille d'abord
Et pendant ce temps je réserve une place pour le prochain vol orbital. Je refuse de continuer à vivre sur cette planète.
film de danse nomie
De danse, oui...
maqturbation the tudors
Oui, c'est pour, vous savez, étudier l'Histoire.
make it or break it justaucorps
Oh, encore plus subtil, bien jouééé !

- Les de-quoi-je-me-mêle
lee pace is gay
Parce que connaître l'orientation sexuelle d'un acteur que vous ne rencontrerez jamais, ou alors pas plus de 2mn dans le meilleur des cas (dédicace quelconque), est forcément une information capitale.
frederic hosteing vie privee // frederic hosteing celibataire
Allez, il faut se dire que c'est le prix de la célébrité...
kathryn morris operation // amanda tapping bisexuelle
Ca me change de tous les mots-clés en rapport avec leur poids (ou absence de).
acteur ma famille d'abord mort
Le plus triste dans cette affaire, c'est sans doute que Damon Wayans est toujours en vie.
lucy hale obese
Je crois qu'on s'est tous fait la réfléxion. NOT.
quelle est le numero de hannah montana
Han non ! Trop conne ! Je l'ai laissé dans mon autre veste.
sourcils simon astier
Et maintenant on est tous en train de visualiser les sourcils de la famille Astier et de les comparer mentalement, pas vrai ?

- Les curieux
la chartreuse de parme rai uno synopsis
Uniquement celui de la version de Rai Uno, hein, parce que le bouquin du même nom n'a évidemment rien à voir.
serie muhtesem yuzyil en francais // Muhtesem Yüzyil sous titres français
Franchement, si vous trouvez, faites tourner.
2 ème partie du Muhteşem Yüzyıl en arabe
Ce n'est que mon avis, évidemment, mais ce serait pas plus simple d'utiliser des termes en arabe pour cette recherche ?
the lost room saison 2
J'ai toujours de la peine pour les gens qui découvrent plus de 5 ans trop tard qu'une série n'aura pas de suite. C'est un peu comme apprendre que la petite souris n'existe pas quand vous finissez de passer un diplôme de dentiste...
space 2063 suite
Voilà voilà.
space 2063 spoiler
Voilà quelqu'un qui sait vivre dangereusement.
regarder coronation street en france
Mais c'est hyper faci-... euh, attendez : légalement ? Ah non alors j'ai rien dit.
meet the browns qu'en pensez vous
Pas des masses de bien, pour être sincère.
ncis série gros navet
Dans mes bras, mon frère !
majisuka gakuen saison 2 deception
Techniquement, si on a vu la première, plus rien ne peut décevoir, mais après c'est sans doute mon biais téléphagique qui m'incite à dire ça, rapport au fait que je juge les séries plutôt sur leur scénario que sur la longueur des jupettes des idols.
dvd se deshabituer
C'est très très difficile et il est recommandé d'utiliser un patch dans un premier temps.
deadwood est violent
NoooooooOOOOOooooon ?! Vraiment ? Hm. M'charries, là.
jersey shore serie pitoyable
Je conteste l'appellation-même de "série", mais sur le reste je ne peux qu'approuver.
series de la trempe de game of thrones
Ca va être très, très difficile d'en trouver, reconnaissons-le.
citations serie anges du bonheur
Parce que quand je pense à une série dont les dialogues valent la peine d'être mémorisés, immédiatement, je pense aux Ahem du Bonheur.
quand va ton revoire hidden palms
S'il y a un Dieu de la Téléphagie, JAMAIS.
je n'aime pas sonny with a chance
Dans un premier temps, instinctivement, si vous êtes comme moi, vous avez envie de vous réjouir de cette requête. Ensuite vous vous demandez à quoi ça sert de faire une recherche Google avec ces termes si vous n'aimez vraiment pas la série... et c'est là que vous en arrivez à la conclusion qu'il s'agit en fait probablement d'un fan qui cherche les gens qui n'aiment pas Sonny with a Chance pour défendre leur série fétiche sur leur site/blog/forum/whatever. Et soudain, le monde semble encore un peu plus pathétique qu'à la requête précédente.
blog sur coeurs rebelles
J'en profite pour reposer la question : qu'est-ce qui pousse des gens à chercher (ou écrire, d'ailleurs) des blogs entiers sur des séries qui ont disparu des écrans voilà des années ? Le mystère reste entier depuis la dernière fois.
quel est le nom de punky brewster
...Henri IV ?

IndicePunky
Un indice.

- Les, euh...?!
l'être humain est cruel par ses awkward
C'est effectivement embarrassant.
ô jeunesse ô désespoir
Original. Ce doit être un remake.
POSTER NCIS QUEL PRIX
Ce sera toujours trop cher payé.
tina fey qui pleur
Les mots me manquent. WTF, quoi ?!
fran drescher sans maquillage
Il faut se méfier des souhaits.
One tree hill PONT
Sans conteste mon personnage préféré de la série.
soprano vu par enfant 11ans
Ce genre d'expérience éducative aurait tendance à conduire à une délicieuse et inoubliable rencontre avec le personnel des services sociaux.
are you there ladytelephagy
Non c'est la porte d'à côté.
cheveux long ghost whisperer
J'ai toujours pensé que l'ingrédient majeur du succès de cette série, c'était les faux-cils, mais je reste ouverte au débat.
j'ai pas compris la blagie
Mou non plus.
romain antique marrant
Marc Antoine était un vrai rigolo, mais j'ai toujours pensé que César avait un humour plus raffiné, quoique moins grand public.
une personne me demande si j'aime la série ma famille d'abord
Ignorez-la. Pour toujours.
ton problème c'est que je présente bien that's 70 show
Ca doit être ça.
n'avoir rien a raconter
Il y a des gens qui cherchent sur internet un résultat pour ça. Ca laisse songeur, hein ?

Et pour finir, mon préféré...
- Le dyslexique :
ldythelephagya

Bonne soirée à tous !

14 avril 2012

La vie, tout simplement

Depuis quelques mois, j'essaye d'être plus rigoureuse dans la planification de mes objectifs téléphagiques. Comme je réagis essentiellement aux coups de tête et aux coups de coeur, il faut parfois une vigilance soutenue pour ne pas bêtement se laisser emporter par une découverte ou une nouveauté qui pourrait me faire mettre de côté certaines séries. Et alors que la saison actuelle est pour moi une corne d'abondance de ravissement, comme j'ai déjà pu vous le dire, il s'agit aussi de ne pas se reposer sur les acquis (notamment avec la tendance que j'ai à revoir certains épisodes ou certaines scènes qui m'ont énormément plu). Bref, d'essayer, dans ma fringale constante et ma tendance à la monomaniaquerie, de trouver le moyen d'être raisonnable.
Et il me semblait déraisonnable de n'avoir pas vraiment donné leur chance à la plupart des séries britanniques récemment. A part Pramface, je n'ai le souvenir d'en avoir tenté aucune de ma propre initiative ; et on m'en a recommandé chaudement plusieurs pour lesquelles j'attendais en quelque sorte le bon moment.

Pour Call the Midwife, le bon moment est venu. Et s'est prolongé sur 6 épisodes incroyablement bons aussi, un bonheur ne venant jamais seul.

Midwife-Title

Call the Midwife commence avec l'arrivée d'une jeune sage-femme dans le quartier de Poplar, dans l'Est de Londres, peu après la Seconde Guerre Mondiale. Mais le terme de "quartier populaire" ne commence même pas à décrire l'état dans lequel se trouve cet endroit surpeuplé. Si les vêtements et les débris ne nous indiquaient pas que nous sommes dans l'après-guerre, on croirait que la série se déroule au début du siècle : la pauvreté est partout, dans le monde ouvrier de Poplar, entassée dans des bâtiments délabrés dont les cours et les rues sont baignées par la brume du port voisin.

La formule de la jeune recrue qui arrive, innocente et encore pleine d'illusions, est un grand classique des pilotes, et la voix-off est un autre procédé sur-utilisé de nos jours ; mais étrangement cela fonctionne très bien dans ce contexte. On a sans doute un peu besoin, nous aussi, d'apprendre à nous familiariser avec Poplar, et d'ailleurs je confesse une ignorance absolue quant à l'état du Londres d'après-guerre. Le portrait qui est fait de l'endroit est à vrai dire saisissant. En fait, on aimerait y passer plus de temps, et parfois même (sacrilège !) sacrifier quelques unes des minutes accordées à d'autres angles pour mieux comprendre l'histoire de nombreux habitants de Poplar. Évidemment, Call the Midwife n'est pas là pour nous parler des traumatismes de la guerre ou de l'après-guerre, mais pour nous parler de sage-femmes et donc de femmes enceintes, de bébés, de pères... cependant certains aspects de la vie de tout ce petit monde m'étaient tellement inconnus que j'aurais aimé en savoir plus. Les workhouses, notamment, évoquées à plusieurs reprises, ont piqué ma curiosité sans vraiment la rassasier ; tout ça va finir sur Google, à n'en pas douter, mais il n'empêche, j'aurais apprécié que la série explore plus ces sujets.

La raison en est simple : si les premiers épisodes (notamment en répétant dans le deuxième épisodes la formule du "nouvelle arrivant") trouvent un juste équilibre entre les cas médicaux/sociaux rencontrés et la vie des infirmières, la série prend progressivement la fâcheuse habitude de passer de plus en plus du temps dans la vie privée de ses héroïnes, ce qui forcément rogne un peu sur le reste. C'est le seul blâme que j'aurai à adresser à Call the Midwife : s'attacher à ses protagonistes principales au point d'en oublier parfois sa vocation première.
Pour autant, il est des personnages dont on a du mal à ne pas dire du bien de bout en bout, même quand la série s'attarde un peu trop dans leur vie privée. Camilla, alias Chummy, en est le plus frappant exemple. Portée par une Miranda Hart qui trouve le moyen à la fois d'être totalement fidèle à elle-même et de se transcender, la sage-femme Chummy est émouvante, drôle, et capable d'une évolution incroyable pour un personnage qui n'est présent que pendant 5 épisodes (sur une saison qui n'en compte que 6). Le mérite en revient autant à l'écriture qu'à l'interprétation, mais le travail conjoint des deux fait de Chummy un héroïne cent fois plus attachante que ne peut l'être Jenny Lee, pourtant narratrice.

Les rues de Poplar Miracles de la vie Comment donner de la noblesse à un tear-jerker Jenny Lee, héroïne un poil austère L'un des rares aspects feuilletonnants d'origine médicale Poplar, ce quartier riant

Mais si j'ai l'air de médire çà et là, ne croyez pas que je sois déçue. En réalité, j'avais envie que Call the Midwife parle plus des cas rencontrés et de la vie à Poplar, tout simplement parce que quand la série le fait, c'est avec le plus magistral brio. Dans ce quartier où la population semble livrée à la pauvreté, la maladie et la crasse, on a l'impression d'être à la croisée de deux mondes : la première moitié du siècle, consacrée aux guerres, se termine, et le progrès peut reprendre. La médecine et la couverture sociale apportent énormément à de tels endroits, et on assiste aux balbutiements de leurs bénéfices pour les plus démunis. La série va, en de nombreuses reprises, attirer notre attention sur le paradoxe de l'exercice des professions médicales à Poplar : on y manque de moyens, mais on y fait résolument de grands progrès tout de même dans le soin apporté notamment aux femmes.
Ainsi Call the Midwife va nous parler aussi bien de l'amélioration des chances de survie des prématurés, des débuts de la contraception, ou encore d'avortement, mais sans jamais en faire de la matière à une démonstration ou l'objet d'une quelconque revendication.
Comme les nonnes de Poplar, Call the Midwife se garde bien au contraire de porter le moindre jugement. C'est d'ailleurs incroyablement reposant. Les histoires ne se finissent pas toujours bien : on fait avec ce qu'on a. Et on n'a pas grand'chose. Mais qu'elles se finissent dans le bonheur ou la tragédie, on y trouve toujours quelque chose de profondément humain. Il faut dire qu'on garde en permanence à l'esprit (peut-être de par les uniformes et les décors, sans doute aussi à cause des chants) qu'on est dans un contexte très religieux. Mais religieux dans le "bon" sens du terme, dans son expression quotidienne ; il n'y a aucune forme de prosélytisme dans cette série. Pour l'athée que je suis, c'est probablement la religion la plus agréable à la télévision : celle qui ne s'invite pas de votre côté de l'écran, mais qui offre un contexte, un mode de vie et de pensée, qui apportent une sorte de beauté paisible à la série.

Dans cette atmosphère parfaitement sereine, les séquences médicales, principalement les accouchements, deviennent presque choquants. On dit souvent que quand un homme en voit un autre se prendre un coup dans les parties, il a immédiatement l'impression de partager sa douleur ; je crois que j'ai ressenti quelque chose de similaire pendant les accouchements de Call the Midwife. Sans être très graphiques (bien que plus que la plupart des fictions dans lesquelles j'ai pu assister à un accouchement ; le juste milieu est trouvé avec une précision incroyable), ces scènes parviennent à retranscrire à la fois la difficulté de l'exercice pour la sage-femme, et la douleur de la patiente.

Midwife-Pramfaces

Il y a quelque chose de parfaitement sincère et humble dans Call the Midwife, quelque chose qui relève de l'excellente narration mais aussi de l'infinie tendresse un peu contemplative qu'ont certaines séries pour les simples choses de la vie ; ou quand prendre le temps de parler d'Histoire à travers une multitude d'histoires anonymes devient un art.
C'est une qualité qu'on ne retrouve totalement, d'après mon expérience, que dans les fictions de deux pays : la Grande-Bretagne et le Japon. Il doit y avoir quelque secret, caché sur le sol de ces deux pays îliens, qui leur donne le don de rendre le quotidien tellement palpable et télégénique. Dans l'attention portée aux histoires, dans l'affection palpable aux protagonistes, dans le sens aiguisé du détail, dans le choix des musiques ou dans les dialogues, se loge une qualité qu'on ne retrouve que dans des séries britanniques et des dorama. Entre The Café et Shinya Shokudou, il y a la moitié d'une planète, et pourtant une parenté énorme, partagée par Call the Midwife.

Et du coup chaque épisode est l'occasion d'une émotion permanente. Chaque instant est à la fois simple, réaliste, et en même temps terriblement touchant ; parfois parce que c'est triste, parfois parce que c'est joyeux, très souvent parce que c'est quelque chose entre les deux. J'ai passé quasiment chaque minute avec les larmes aux yeux ou roulant sur mes joues, il était impossible de faire autrement et je n'ai même pas eu envie de les refouler.

Midwife-Promo

On regarde Call the Midwife comme on écoute sa grand'mère raconter des anecdotes : les coudes posés sur les genoux, le visage lové dans le creux des mains, les yeux rivés à l'écran et avec un petit sourire fasciné. Et les pommettes humides, donc.

13 avril 2012

Why not regarder Scandal

Whynotregarder-Scandal

Voici les 10 raisons de ne pas regarder Scandal :

1 - Parce que ça manque épouvantablement de second degré
2 - Parce que c'est un peu Les Experts en version spin doctors
3 - Parce que c'est dangereux si vous êtes épileptique
4 - Parce que le coup de la petite nouvelle qui arrive en terre inconnue n'a jamais été aussi mal exploité
5 - Parce que le speech de Pope pour expliquer sa procédure était pompeux au possible
6 - Parce que le Président, ah ouais, carrément ?!
7 - Parce que ça n'a pas d'âme
8 - Parce que Kerry Washington se la pète juste un peu trop
9 - Parce que regarder une série de Shonda Rhimes, c'est un peu abdiquer téléphagiquement
10 - Parce que le suicide n'est pas une solution
Libre à vous d'en ajouter, étant bien entendu qu'il n'y en a aucune à retirer.

12 avril 2012

Plaisirs d'hiver

ErikWinter_DefinitiondeCool

Quatre jeudis s'approchant de la perfection téléphagique viennent de passer. Kommissarie Winter vient d'achever sa diffusion sur arte, et, je l'ai dit et je le répète, cette chaîne mérite à elle seule le montant de ma redevance en ce moment. Qu'il s'agisse de Borgen, ou d'East West 101 (mais on va forcément en reparler), de The Slap ou encore d'Äkta Människor, acquises par la chaîne en ce début d'année, arte est LA chaîne de la découverte téléphagique par excellence. Ce serait moi qui déciderais de ses achats que je ne choisirais pas autrement. Mon Dieu qu'on se régale. Nan mais je dis pas souvent du bien de la télévision française, alors il fallait que ma déclaration d'amour à cette chaîne soit claire nette et précise. Cette déclaration n'a rien de nouveau mais souffrez que je me répète, d'autant que la chaîne bosse vraiment dur pour nous surprendre tout en saissisant l'air du temps.

Avec Kommissarie Winter, qui clairement n'avait pas bénéficié du même plan de communication que Borgen (et qui, à l'approche des élections, n'avait pas vraiment d'argument d'actualité pour attirer du monde), arte n'a pas forcément emporté l'adhésion massive du public, mais pour le téléphage exigeant, ce que nous espérons être dans les parages, il y avait de quoi être comblé. C'était de la qualité, indéniablement.
Eh oui, une nouvelle fois, je m'apprête à jeter des fleurs à Kommissarie Winter, l'une des rares séries policières pour lesquelles j'en redemande (fait quasiment unique, en réalité), mais la série le mérite. En huit épisodes racontant seulement quatre enquêtes, on a eu l'occasion de méchamment prendre notre pied. Je m'apprête à vous expliquer pourquoi parce que je sens bien que vous n'étiez pas religieusement positionné devant votre écran le jeudi soir. Et je vous en veux presque pas pour ça.

Parce que Kommissarie Winter n'est pas facile d'accès. Quand, le mois dernier, la série s'est ouverte sur un enchaînement de séquences quasiment dénuées du moindre dialogue pendant plus de 5 minutes consécutives (c'est long en télévision), forcément, on sentait qu'on n'était pas dans Les Experts Göteborg. L'efficacité était hors de question depuis le départ : les silences, les plans contemplatifs appuyés, tout ça n'est pas vraiment la manifestation d'une série grand public. Mais même si cela peut paraitre un peu surprenant quand on est habitués à ce qui est devenu le cahier des charges de la plupart des séries policières populaires de ces dernières années, il est bon d'insister. De se laisser porter. D'accepter de monter avec Winter dans sa bagnole et de le suivre le long de ce pont qui est le début d'une grande aventure...

Tout l'art de la série, au travers de 4 enquêtes, sera de se montrer d'un esthétisme parfait sans jamais sacrifier son contenu. La série joue sur la lumière plus que la couleur, souligne des sens improbables comme le toucher, reste d'une immense modération en matière de musique (le thème principal de la série sert également d'insert song, et en dehors de celui-ci, toute utilisation perceptible de la musique a forcément du sens)... bref, on expérimente la série au plus près, au lieu de simplement lui donner l'apparence d'un produit bien pensé. L'idée motrice qui est à l'origine de ce délicat résultat, c'est la volonté de toujours tout voir avec les yeux d'Erik Winter (énorme travail sur les yeux de Magnus Krepper pour nous faire adopter son regard), et de nous inviter à ressentir également les choses avec lui : la musique qui va l'obséder, la pluie qui va le tremper, le relief d'un papier-peint qui va l'intriguer...
Cela donne un résultat à la fois d'une grande poésie, parfois même morbide au besoin, ainsi que quelque chose de très intime aussi bien dans le partage des émotions du héros que dans l'expérience qu'on fait de la série, mais aussi un outil formidable pour suivre l'enquête. D'ailleurs, quand des collègues de Winter prennent le relai d'une partie d'une affaire donnée (Fredrik dans le premier cycle, Lars dans l'avant-dernier), le principe sera réutilisé afin de personnifier au maximum le travail exécuté par les policiers (ou leur vie privée, le cas échéant).

La vie privée de Winter tient d'ailleurs un grand rôle dans la série. En à peine 4 enquête, ça a même de quoi surprendre. On entre dans son intimité avec l'impression que son monde (son épouse, leurs deux filles) devrait être un refuge, mais est aussi très vulnérable au "dehors". Il y a un véritable contraste, souligné par le fait qu'aucune scène en famille n'est totalement abandonnée à l'innocence ; je vous l'avais assez bien retranscrit lorsque je vous avais parlé du pilote. Et ça s'exprime ensuite de façon variée, mais avec toujours l'impression qu'il y a la famille d'une part, et la menace de l'autre.
En fait, en l'espace de 8 épisodes, Kommissarie Winter va même s'amuser à jouer de ce principe. On prend vite l'habitude de voir Winter lui-même lier sa vie personnelle et/ou son passé à son enquête (quitte à être proprement imbuvable chez lui ou mettre méchamment en danger sa santé mentale, comme lorsqu'il fait des efforts désespérés pour se rappeler d'une enquête sur laquelle il a travaillé lorsqu'il débutait sa carrière). Si bien qu'à un moment, excédé, le spectateur regarde la troisième enquête en se disant "nom d'un chien, mais c'est encore lié à Winter ?!" et pas du tout. Comment ces gens, en 4 enquêtes, ont réussi à créer des fausses pistes de ce genre, en exploitant les traits de son personnage pour nous conduire à tirer des conclusions hâtives, relève du génie.

ErikWinter_Nuit
Mais ce qui est encore plus impressionnant, c'est la subtilité que Kommissarie Winter déploie lorsqu'il s'agit du sujet-même de ses enquêtes. Ainsi, la première affaire soulèvera des questions relatives à l'immigration, la place de la femme, l'extrêmisme, la vie dans les quartiers défavorisés, etc... mais la série se contente juste d'attirer notre attention sur un sujet. Elle ne le traite pas. Elle n'en disserte pas. Pour se faire un avis, aucun personnage ne va commencer à porter de jugement sur ci ou sur ça ; Winter se contente de poursuivre son obsédante quête de l'explication (pas vraiment la vérité, d'ailleurs, juste l'explication qui lui permet de comprendre pourquoi le crime a eu lieu), ouvrant des portes pour le spectateur qui peut décider soit d'y jeter un oeil et d'y découvrir des tas de choses intéressantes, ou d'en faire l'abstraction pour se contenter de l'enquête. Pas de leçon de morale.
Quand un personnage a été violé, on ne parle pas de viol, on montre le crime (avec une retenue la plus digne possible sans sacrifier l'émotion). On ne cherche pas ensuite à appuyer en disant que le viol c'est mal. On espère que les spectateurs, s'ils n'en étaient pas arrivés à la conclusion eux-mêmes, ont au moins su lire dans les yeux de Winter tout le mal qu'il pensait de cette sordide affaire.
C'est certainement ce qu'il y a de plus reposant dans Kommissarie Winter : cette façon de nous donner l'impression de faire l'expérience des enquêtes sans jamais en expliciter les tenants et les aboutissants. Et c'est sans doute aussi ce qui explique que Kommissarie Winter ne deviendra jamais un succès d'audiences international. La série ne peut s'apprécier entre deux portes, et n'offre sans doute pas le même niveau de moralisation de la plupart des séries policières. Il faut savoir lire les silences. Tous les publics n'ont pas envie de cela, et ça se conçoit.

Quelques uns des décors de la série Quelques uns des décors de la série Quelques uns des décors de la série Quelques uns des décors de la série Quelques uns des décors de la série

Mais pour les spectateurs qui feront l'effort de se plonger sans peur dans les silences, et les plans montrant un Winter dubitatif tentant de mettre de l'ordre dans ses pensées, la récompense est sans égale. Kommissarie Winter est un véritable bijou, plein d'émotions, plein de pistes de réflexion, plein de simples merveilles dont on se régale entre deux scènes sans concession, parfois violentes, parfois stressantes, parfois très graphiques, parfois choquantes par leur pouvoir de suggestion.
Car la capacité de Kommissarie Winter à vous donner l'impression d'être Erik Winter est à double tranchant...

Publicité
<< < 1 2 3 4 > >>
ladytelephagy
Publicité
Archives
Publicité